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pur n’est réellement composé que de matières provenant plus ou moins immédiatement des végétaux.

Pour mieux entendre la génération primitive du charbon de terre et développer sa composition, il faut se rappeler tous les degrés, et même tâcher de suivre les nuances de la décomposition des végétaux, soit à l’air, soit dans l’eau : les feuilles, les herbes et les bois abandonnés et gisants sur la terre commencent par fermenter ; et, s’ils sont accumulés en masses, cette effervescence est assez forte pour les échauffer au point qu’ils brûlent ou s’enflamment d’eux-mêmes ; l’effervescence développe donc toutes les parties du feu fixe que les végétaux contiennent, et ces parties ignées étant une fois enlevées, le terreau produit par la décomposition de ces végétaux n’est qu’une espèce de terre qui n’est plus combustible, parce qu’elle a perdu, et pour ainsi dire exhalé dans l’air les principes de sa combustibilité. Dans l’eau, la décomposition est infiniment plus lente, l’effervescence insensible, et ces mêmes végétaux conservent très longtemps, et peut-être à jamais, les principes combustibles qu’ils auraient en très peu de temps perdus dans l’air : les tourbes nous représentent cette première décomposition des végétaux dans l’eau ; la plupart ne contiennent pas de bitume et ne laissent pas de brûler. Il en est de même de tous ces bois fossiles noirs et luisants, qui sont décomposés au point de ne pouvoir en reconnaître les espèces, et qui cependant ont conservé assez de leurs principes inflammables pour brûler, et qui ne donnent en brûlant aucune odeur de bitume : mais, lorsque ces bois ont été longtemps enfouis ou submergés, ils se sont bituminisés d’eux-mêmes par le mélange de leur huile avec les acides ; et quand ces mêmes bois se sont trouvés sous des couches de terres mêlées de pyrites ou abreuvées de sucs vitrioliques, ils sont devenus pyriteux, et dans cet état ils donnent en brûlant une forte odeur de soufre.

En suivant cette décomposition des végétaux sur la terre, nous verrons que les herbes, les roseaux et même les bois légers et tendres, tels que les peupliers, les saules, donnent en se pourrissant un terreau noir tout semblable à la terre que l’on trouve souvent par petits lits très minces au-dessus des mines de charbon, tandis que les bois solides, tels que le chêne, le hêtre, conservent de la solidité, même en se décomposant, et forment ces couches de bois fossiles qui se trouvent aussi très souvent au-dessus des mines de charbon ; enfin le terreau, par succession de temps, se change en limon ou terre végétale qui est le dernier résidu de la décomposition de tous les êtres organisés : l’observation m’a encore démontré cette vérité[1] ; mais tout le terreau dont la décomposition se sera faite lentement, et qui, ne s’étant pas trouvé accumulé en grandes masses, n’aura par conséquent pas perdu la totalité de ses principes combustibles par une prompte fermentation, et le limon, qui n’est que le terreau même seulement plus atténué, aura aussi conservé une partie de ces mêmes principes. Le terreau, en se changeant en limon, de noir devient jaune ou roux par la dissolution du fer qu’il contient ; il devient aussi onctueux et pétrissable par le développement de son huile végétale : dès lors, tout terreau et même tout limon, n’étant que les résidus des substances végétales, ont également retenu plus ou moins de leurs principes combustibles ; et ce sont les couches anciennes de ces mêmes bois, terreaux et limons, lesquelles se présentent aujourd’hui sous la forme de tourbe, de bois fossile, de houille et de charbon ; car il est encore nécessaire, pour éviter toute confusion, de distinguer ici ces deux dernières matières, quoique la plupart des écrivains aient employé leurs noms comme synonymes ; mais nous n’adopterons, avec M. de Gensane, celui de houille[2] que pour ces terres noires et combustibles qui se trouvent souvent au-dessus, et

  1. Voyez l’article précédent, qui a pour titre : De la terre végétale.
  2. « Les charbons de pierre s’annoncent souvent par des veines d’une terre noire combustible, que nous avons ci-devant désignée par le nom de houille, et qui forme ordinairement la tête des véritables veines de charbon. » Hist. naturelle du Languedoc, t. Ier,