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bancs d’une très grande épaisseur sur une étendue de deux ou trois lieues en longueur et d’une largeur indéterminée, comme on l’a observé dans la mine de Wieliczka, en Pologne, qui est la plus célèbre de toutes celles du Nord.

Les bancs de sel y sont surmontés de plusieurs lits de glaises, mêlés, comme les autres glaises, d’un peu de sable et de débris de coquilles et autres productions marines. L’argile ou glaise contient l’acide, et les corps marins contiennent l’alcali ; on pourrait donc imaginer qu’ils ont fourni l’alcali nécessaire pour former avec l’acide ce sel fossile ; mais, lorsqu’on jette les yeux sur l’épaisseur énorme de ces bancs de sel, on voit que, quand même la glaise et les corps marins qu’elle renferme se seraient entièrement dépouillés de leur acide et de leur alcali, ils n’auraient pu produire que les dernières couches superficielles de ces bancs, dont l’épaisseur étonne encore plus que leur étendue ; il me semble donc que, pour concevoir la formation de ces masses immenses de sel pur, il faut avoir recours à une cause plus puissante et plus ancienne que celle de la stillation des eaux et de la dissolution des sels contenus dans les terres qui surmontent ces salines : elles ont commencé par être des marais salants, où l’eau de la mer en stagnation a produit successivement les couches de sel qui composent ces bancs, et qui se sont déposées les unes sur les autres à mesure qu’elles se formaient par l’évaporation des eaux qui arrivaient pour remplacer les premières, et qui laissaient de même déposer leur sel après l’évaporation ; en sorte que, dans le temps où la chaleur du globe était beaucoup plus grande qu’elle ne l’est aujourd’hui, le sel a dû se former bien plus promptement et plus abondamment qu’il ne se forme dans nos marais salants ; aussi ce sel gemme est-il communément plus solide et plus pur que celui que nous obtenons en faisant évaporer les eaux salées ; il a retenu moins d’eau dans sa cristallisation ; il attire moins l’humidité de l’air et ne se dissout qu’avec beaucoup de temps dans l’eau, à moins qu’on n’aide la dissolution par le secours de la chaleur.

On vient de voir par les notes précédentes que ces grands amas de sel gemme se trouvent tous ou sous des couches de glaises et de marne, ou sous des bancs de plâtre, c’est-à-dire sous des matières déposées et transportées par les eaux, et que par conséquent la formation de ces amas de sel est à peu près contemporaine aux dernières alluvions des eaux, dont les dépôts sont en effet les glaises mêlées de craie et de plâtres, matières dont la substance est analogue à celle du sel marin, puisqu’elles contiennent en même temps l’acide et l’alcali, qui font l’essence de sa composition ; cependant, je le répète, ce ne sont pas les parties salines contenues dans ces bancs argileux, marneux et plâtreux, qui seules ont pu produire ces énormes dépôts de sel gemme, quand même ces bancs de terre auraient été de huit cents pieds plus épais, comme dit M. Bowles ; et ce ne peut être que par des alternatives d’alluvion et de dessèchement et par une évaporation prompte que ces grandes masses de sel ont pu s’accumuler.

Pour faire mieux entendre cette formation successive, supposons que le sol sur lequel

    perpendiculairement du côté de la rivière : cette montagne est une masse énorme de sel solide de quatre ou cinq pieds de haut, sans raies, ni fentes, ni couches, et il n’y a point de plâtre aux environs ; elle a une lieue de circuit… On ignore la profondeur du sel, qui pour l’ordinaire est blanc ; il y en a aussi du rouge… d’autre d’un bleu clair, mais ces couleurs disparaissent lorsque le sel est écrasé, car dans cet état il est blanc…

    La superficie de la montagne est grande ; cependant les pluies ne font pas diminuer le sel : la rivière qui coule au pied est néanmoins salée, et, quand il pleut, la salaison augmente et fait mourir le poisson ; mais ce mauvais effet ne s’étend pas à plus de trois lieues, après quoi le poisson se porte aussi bien qu’ailleurs. Histoire naturelle d’Espagne, par M. Bowles, p. 410 et suiv. — Les anciens ont parlé de ces montagnes de sel de l’Espagne. « Est, dit Aulu-Gelle, in his regionibus (Hispaniæ) mons ex sale mero magnus ; quantùm demas, tantùm adcrescit. » Aulu-Gelle, lib. ii, cap. xxii, ex Catone.