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C’est de la cendre des plantes qui contiennent du sel marin que l’on obtient l’alcali fixe végétal en grande quantité, et quoique tiré des végétaux, il est le même que l’alcali minéral ou marin : la différence de leurs effets n’est bien sensible que sur les acides végétaux et sur les huiles dont ils font des sels de différentes sortes, et des savons plus ou moins fermes.

On obtient donc par la combustion et l’incinération des plantes qui croissent près de la mer, et qui par conséquent sont imprégnées de sel marin, on obtient, dis-je, en grande quantité l’alcali minéral ou marin, qui porte le nom de soude, et qu’on emploie dans plusieurs arts et métiers.

On distingue dans le commerce deux sortes de soudes : la première, qui provient de la combustion des kalis et autres plantes terrestres qui croissent dans les climats chauds et dans les terres voisines de la mer ; la seconde, qu’on se procure de même par la combustion et la réduction en cendres des fucus, des algues et des autres plantes qui croissent dans la mer même ; et néanmoins la première soude contient beaucoup plus d’alcali marin que la seconde, et ce sel alcali est, comme nous l’avons dit, le même que le natron : ainsi la nature sait former ce sel encore mieux que l’art ; car nos soudes ne sont jamais pures ; elles sont toujours mêlées de plusieurs autres sels, et surtout de sel marin, souvent elles contiennent aussi des parties ferrugineuses et d’autres matières terreuses qui ne sont point salines.

C’est par son alcali fixe que la soude produit tous ses effets : ce sel sert de fondant dans les verreries et de détergent dans les blanchisseries ; avec les huiles il forme les savons, etc. Au reste, on peut employer la soude telle qu’elle est, sans en tirer le sel, si l’on ne veut faire que du verre commun ; mais il la faut épurer pour faire des verres blancs et des glaces. Le sel marin, dont l’alcali de la soude est presque toujours mêlé, ne nuit point à la vitrification, parce qu’il est très fusible, et qu’il ne peut que faciliter la fusion des sables vitreux, et entraîner les impuretés dont ils peuvent être souillés ; le fiel du verre, qui s’élève au-dessus du verre fondu, n’est qu’un mélange de ces impuretés et des sels.

L’alcali fixe végétal ou minéral doit également sa formation au travail de la nature dans la végétation, car on le peut tirer également de tous les végétaux dans lesquels il est seulement en plus ou moins grande quantité. Ce sel végétal, lorsqu’il est pur, se présente sous la forme d’une poudre blanche, mais non cristallisée ; sa saveur est si violente et si caustique, qu’il brûlerait et cautériserait la langue si on le goûtait sans le délayer auparavant dans une grande quantité d’eau ; il attire l’humidité de l’air en si grande abondance qu’il se résout en eau : cet alcali, qu’on appelle fixe, ne l’est néanmoins qu’à un feu très modéré, car il se volatilise à un feu violent, et cela prouve assez que la chaleur peut le convertir en alcali volatil, et que tous deux sont au fond de la même essence : l’alcali fixe a plus de puissance que les autres sels pour vitrifier les substances terreuses ou métalliques : il les fait fondre et les convertit presque toutes en verre solide et transparent.

Les cendres de nos foyers contiennent de l’alcali fixe végétal, et c’est par ce sel qu’elles nettoient et détergent le linge par la lessive : cet alcali que fournissent les cendres des végétaux est fort impur, cependant on en fait beaucoup dans les pays où le bois est abondant ; on le connaît dans les arts sous le nom de potasse, et, quoique impur, il est d’un grand usage dans les verreries, dans la teinture et dans la fabrication du salpêtre.

C’est sans fondement qu’un de nos chimistes a prétendu que le tartre ne contient point d’alcali[1] ; cette opinion a été bien réfutée par M. Bernard : l’alcali fixe se trouve tout formé dans les végétaux, et le tartre, qui n’est qu’un de leurs résidus, ne peut manquer

  1. Voyez le Journal de Physique, mars 1781, Mémoire sur l’alcali fixe.