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les eaux dans les climats chauds ; on m’en a envoyé, de Suez, des morceaux assez gros et assez purs ; cependant il est ordinairement mêlé de terre calcaire[1] : ce sel, auquel on a donné le nom d’alcali minéral, pourrait, comme le nitre, être placé dans le règne végétal, puisqu’il est de la même nature que l’alcali qu’on tire de plusieurs plantes qui croissent dans les terres voisines de la mer ; et que d’ailleurs, il paraît se former par le concours de l’acide aérien, et à peu près comme le salpêtre ; mais celui-ci ne se présente nulle part en masses ni même en morceaux solides, au lieu que le natron, soit qu’il se forme sur la terre ou sur l’eau, devient compact et même assez solide[2].

Les anciens ont parlé du natron sous le nom de nitre : sur quoi le P. Hardouin se trompe, lorsqu’il dit[3] que le nitrum de Pline est exactement la même chose que notre salpêtre ; car il est clair que Pline, sous le nom de nitre, parle du natron qui se forme, dit-il, dans l’eau de certains lacs d’Égypte, vers Memphis et Naucratis, et qui a la propriété qu’il lui attribue de conserver les corps. À sa causticité, augmentée par la falsification qu’en faisaient dès lors les Égyptiens en y mêlant de la chaux[4], on le reconnaît évidemment pour l’alcali minéral ou natron, bien différent du vrai nitre ou salpêtre.

On emploie le natron dans le Levant aux mêmes usages que nous employons la soude, et ces deux alcalis sont en effet de même nature ; nous tirions autrefois du natron d’Alexandrie, où s’en fait le commerce[5] ; et si ce sel alcalin était moins cher que le sel de soude

  1. Le natron qui nous vient d’Égypte se tire de deux lacs, l’un voisin du Caire, et l’autre à quelque distance d’Alexandrie ; ces lacs sont secs pendant neuf mois de l’année, et se remplissent en hiver d’une eau qui découle des éminences voisines ; cette eau saline n’est pas limpide, mais trouble et rougeâtre ; les premières chaleurs du printemps la font évaporer, et le natron se forme sur le sol du lac d’où on le tire en morceaux solides et grisâtres, qui deviennent plus blancs en les exposant à l’air pour les laisser s’égoutter : on a donné le nom de sel mural au natron qui se forme contre les vieux murs ; il est ordinairement mêlé d’une grande quantité de substance calcaire, et dans cet état il est neutralisé.
  2. Granger, dans son Voyage en Égypte, parle de plaines sablonneuses et d’un lac où se forme le natron : « Le sel du lac, dit-il, était congelé sur la surface des eaux, et assez épais pour y passer avec nos chameaux… Le lac s’emplit des eaux des pluies qui commencent en décembre et finissent en février : ces eaux y déposent les sels dont elles se sont chargées sur les montagnes et dans les plaines sablonneuses ; après quoi, elles se filtrent à travers une terre grasse et argileuse, et vont par des canaux souterrains aboutir à plusieurs puits dont l’eau est bonne à boire : on voit aux environs de ce lac des bœufs sauvages, des gazelles, etc.

    » Outre le natron qu’on tire du fond de ce lac en morceaux de douze et quinze livres, avec une barre de fer, on y trouve de cinq autres espèces de sel : tous ces sels sont bientôt remplacés par de nouveaux sels que les pluies y apportent. On jette, dans les creux d’où on le tire, des plantes sèches, des os, des guenilles, ce qui a donné lieu de croire à plusieurs personnes que ces sortes de choses étaient changées en sel par la vertu des eaux du lac, mais cela n’est pas vrai.

    » Le natron appartient au Grand Seigneur : le pacha du Caire le donne à ferme, et c’est ordinairement le plus puissant des beys qui le prend, et qui en donne quinze mille quintaux au Grand Seigneur ; il n’y a que les habitants de la dépendance de Terranée, qui soient employés à pêcher et à transporter le natron qui est gardé par dix soldats et vingt Arabes affidés. » Voyages en Égypte ; Paris, 1745, p. 167 et suiv.

  3. Quarante-sixième section, chapitre x du trente et unième livre.
  4. Voyez Pline à l’endroit cité.
  5. À deux journées du Caire est le lac de natron : les vaisseaux du Havre et des Sables-d’Olonne en viennent charger à Alexandrie pour Rouen, parce qu’on s’en sert en Normandie pour blanchir les toiles, ce qui les brûle ; les Égyptiens s’en servent au lieu de levain, c’est pourquoi ils ont tous les bourses grosses sans être incommodés ; l’âcreté, ou plutôt la qualité mordante de cette pierre est si grande, que, si l’on en met dans un pot où il y ait de la