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vraisemblance que les alcalis ne puissent devoir leurs propriétés salines à un principe salin de la nature de l’acide vitriolique, mais beaucoup déguisé par la quantité de terre, et vraisemblablement des principes inflammables auxquels il est joint dans ces combinaisons ; et les alcalis volatils sont des matières salines essentiellement de même nature que l’alcali fixe, et qui ne doivent leur volatilité qu’à une différente proportion et combinaison de leurs principes prochains[1]. »

J’ai cru devoir rapporter tous ces faits, avoués par les chimistes, et tels qu’ils sont consignés dans les ouvrages d’un des plus savants et des plus circonspects d’entre eux, pour qu’on ne puisse plus douter de l’unité du principe salin ; qu’on cesse de voir les acides nitreux et marin, et les acides végétaux et animaux comme essentiellement différents de l’acide vitriolique, et qu’enfin on s’habitue à ne pas regarder les alcalis comme des substances salines d’une nature opposée, et même contraire à celle des acides : c’était l’opinion dominante depuis plus d’un siècle, parce qu’on ne jugeait de l’acide et de l’alcali qu’en les opposant l’un à l’autre, et qu’au lieu de chercher ce qu’ils ont de commun et de semblable, on ne s’attachait qu’à la différence que présentent leurs effets, sans faire attention que ces mêmes effets dépendent moins de leurs propriétés salines que de la qualité des substances accessoires dont ils sont mélangés, et dans lesquelles le principe salin ne peut se manifester sous la même forme, ni s’exercer avec la même force et de la même manière que dans l’acide, où il n’est ni contraint ni masqué.

Et cette conversion des acides et des alcalis qui, dans l’opinion de Stahl, peuvent tous se ramener à l’acide vitriolique, est supposée réciproque, en sorte que cet acide peut devenir lui-même un alcali ou un autre acide ; mais tous, sous quelque forme qu’ils se présentent, proviennent originairement de l’acide aérien.

Reprenant donc le principe salin dans son essence et sous sa forme la plus pure, c’est-à-dire sous celle de l’acide aérien, et le suivant dans ses combinaisons, nous trouverons qu’en se mêlant avec l’eau, il en a formé des liqueurs spiritueuses : toutes les eaux acidulés et mousseuses, le vin, le cidre, la bière, ne doivent leurs qualités qu’au mélange de cet acide aérien qu’ils contiennent sous la forme d’air fixe ; nous verrons qu’étant ensuite absorbé par ces mêmes matières, il leur donne l’aigreur du vinaigre, du tartre, etc., qu’étant entré dans la substance des végétaux et des animaux, il a formé l’acide animal et tous les alcalis par le travail de l’organisation. Cet acide primitif, s’étant d’abord combiné avec la terre vitrifiée, a formé l’acide vitriolique, lequel a produit, avec les substances métalliques, les vitriols de fer, de cuivre et de zinc ; avec l’argile et la terre calcaire, l’alun et la sélénite ; le sel de Glauber avec l’alcali minéral, et le sel d’Epsom ou de Sedlitz avec la magnésie.

Ce sont là les principales combinaisons sous lesquelles se présente l’acide vitriolique, car nulle part on ne le trouve dans son état de pureté et sous sa forme liquide, et cela par la raison qu’ayant une très grande tendance à s’unir avec le feu libre, avec l’eau et avec la plupart des substances terreuses et métalliques, il s’en saisit partout, et ne demeure nulle part sous cette forme liquide que nous lui connaissons lorsqu’il est séparé par notre art de toutes les substances auxquelles il est naturellement uni : cet acide, bien déflegmé et concentré, pèse spécifiquement plus du double de l’eau, et par conséquent beaucoup plus que la terre commune ; et, comme sa fluidité diminue à mesure qu’on le concentre, on doit croire que, si l’on pouvait l’amener à un état concret et solide, il aurait plus de densité que les pierres calcaires et les grès[2] ; mais, comme il a une très grande

  1. Dictionnaire de chimie, article Sel.
  2. En supposant que l’eau distillée pèse dix mille, le grès des tailleurs de pierre ne pèse que vingt mille huit cent cinquante-cinq ; ainsi l’acide vitriolique bien concentré, pesant plus du double de l’eau, pèse au moins autant que le grès.