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remarques ; mais sa théorie, que je viens d’exposer, ne me paraît tirée que d’un fait particulier dont il ne fallait pas faire un principe général : il est certain, et je l’ai vu moi-même, qu’il se forme, dans quelques circonstances, des charbons nouveaux par la stillation des eaux, de la même manière qu’il se forme de nouvelles pierres, des albâtres et des marbres nouveaux dans tous les endroits vides qui se trouvent au-dessous des matières de même espèce ; ainsi dans une veine de charbon, tranchée verticalement et abandonnée depuis du temps, on voit, sur les parois et entre les petits lits de l’ancien charbon, une concrétion ordinairement brune et quelquefois blanchâtre, qui n’est qu’une véritable stalactite ou concrétion de la même nature que le charbon dont elle tire son origine par la filtration de l’eau. Ces incrustations charbonneuses peuvent augmenter avec le temps, et peut-être remplir dans une longue succession d’années une fente de quelques pouces, ou si l’on veut de quelques pieds de largeur ; mais, pour que cet effet soit produit, il est nécessaire qu’il y ait au-dessus ou autour de la fente ou cavité qui se remplit, une masse de charbon, laquelle puisse fournir non seulement le bitume, mais encore les autres parties composantes de ce charbon qui se forme, c’est-à-dire la partie végétale, sans quoi ce nouveau charbon ne ressemblerait pas à l’autre ; et s’il ne découlait que du bitume, la stillation ne formerait que du bitume pur et non pas du charbon : or, M. Genneté convient et même affirme que les veines anciennement vidées se remplissent, en quarante ans, de charbon tout semblable à celui qu’elles contenaient, et que cela ne se fait que par le suintement du bitume fourni par le roc voisin de cette veine : dès lors, il faut qu’il convienne aussi que cette veine ne pourrait par ce moyen être remplie d’autre chose que de bitume et non pas de charbon ; il faut de même qu’il fasse attention à une chose très naturelle et très possible, c’est qu’il y a certaines pierres, agas ou autres, qui non seulement sont bitumineuses, mais encore mélangées par lits ou par filons de vraie matière de charbon, et que très probablement les veines qu’il dit s’être remplies de nouveau étaient environnées et couvertes de cette espèce de roche à demi charbonneuse, et dès lors ce mystère, qu’il ne croit pas possible de dévoiler, est un effet très simple et très ordinaire dans la nature. Il me semble qu’il n’est pas nécessaire d’en dire davantage pour qu’on soit bien convaincu que jamais ni le grès, ni l’agas, ni aucune autre roche, n’ont été les matrices d’aucun charbon de terre, à moins qu’ils n’en soient eux-mêmes mélangés en très grande quantité.

L’opinion de M. de Gensane est beaucoup mieux appuyée, et ne me paraît s’éloigner de la vérité que par un point sur lequel il était assez facile de se méprendre : c’est de regarder l’argile et le limon, ou pour mieux dire la terre argileuse et la terre limoneuse, comme n’étant qu’une seule et même chose. Le charbon de terre, selon M. de Gensane, est une terre argileuse, mêlée d’assez de bitume et de soufre pour qu’elle soit combustible. « À la vérité, dit-il, ce charbon, dans son état naturel, ne contient aucun soufre formé, mais il en renferme tous les principes, qui, dans le moment de la combustion, se développent, se combinent ensemble, et font un véritable soufre[1]. »

Il me semble que ce savant auteur n’aurait pas dû faire entrer le soufre dans sa définition du charbon de terre, puisqu’il avoue que le soufre ne se forme que dans sa combustion ; il ne fait donc pas partie réelle de la composition naturelle du charbon, et en effet l’on connaît plusieurs de ces charbons qui ne donnent point de soufre à la combustion : ainsi l’on ne doit point compter le soufre dans les matières dont tout charbon de terre est essentiellement composé, ni dire avec M. de Gensane qu’on doit regarder les veines de charbon de terre comme de vraies mines de soufre[2]. « Et ce qui prouve évidemment que dans le charbon pur il n’y a point de soufre formé, c’est qu’en raffinant le cuivre, le plomb et l’argent avec du charbon pur, on n’observe pas la moindre décom-

  1. Hist. naturelle du Languedoc, par M. de Gensane, t. Ier, p. 12.
  2. Idem, ibidem, p. 13.