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tions de notre art, et le seul sel de cette espèce, que la nature nous offre tout formé, est l’alun de plume, qui ne se trouve que dans les cavités[1] où suintent et s’évaporent les eaux chargées de ce sel en dissolution. Cet alun est très pur, mais nulle part il n’est en assez grande quantité pour faire un objet de commerce, et encore moins pour fournir à la consommation que l’on fait de l’alun dans plusieurs arts et métiers.

Ce sel a en effet des propriétés utiles, tant pour la médecine que pour les arts, et surtout pour la teinture et la peinture : la plupart des pastels ne sont que des terres d’alun teintes de différentes couleurs ; il sert à la teinture en ce qu’il a la propriété d’ouvrir les pores et d’entamer la surface des laines et des soies qu’on veut teindre, et de fixer les couleurs jusque dans leur substance ; il sert aussi à la préparation des cuirs, à lisser le papier, à argenter le cuivre, à blanchir l’argent, etc. Mis en suffisante quantité sur la poudre à canon, il la préserve de l’humidité et même de l’inflammation ; il s’oppose aussi à l’action du feu sur le bois et sur les autres matières combustibles, et les empêche de brûler si elles en sont fortement imprégnées ; on le mêle avec le suif pour rendre les chandelles plus fermes ; on frotte d’alun calciné les formes qui servent à imprimer les toiles et papiers pour y faire adhérer les couleurs ; on en frotte de même les balles d’imprimerie pour leur faire prendre l’encre, etc.

Les Asiatiques ont, avant les Européens, fait usage de l’alun ; les plus anciennes fabriques de ce sel étaient en Syrie et aux environs de Constantinople et de Smyrne, dans le temps des califes, et ce n’est que vers le milieu du xve siècle que les Italiens transportèrent l’art de fabriquer l’alun dans leur pays, et que l’on découvrit les mines alumineuses d’Ischia, de Viterbe, etc. Les Espagnols établirent ensuite, dans le xvie siècle, une manufacture d’alun près de Carthagène, à Almazaran, et cet établissement subsiste encore. Depuis ce temps, on a fabriqué de l’alun en Angleterre, en Bohême et dans d’autres provinces de l’Allemagne, et aujourd’hui on en connaît sept manufactures en Suède, dont la plus considérable est celle de Garphyttau dans la Noricie[2].

Il y a en France assez de mines pyriteuses, et même assez de terres alumineuses pour qu’on pût y faire tout l’alun dont on a besoin sans l’acheter de l’étranger, et néanmoins je n’en connais qu’une seule petite manufacture en Roussillon, près des Pyrénées ; cependant on en pourrait fabriquer de même en Franche-Comté, où il y a une grande quantité de terres alumineuses à quelque distance de Norteau[3]. M. de Gensane, qui a reconnu ces terres, en a aussi trouvé en Vivarais, près de la Gorce : « Plusieurs veines de cette

  1. Dans l’une des mines du territoire de Latera, on trouve contre les parois de la voûte le plus bel alun de plume cristallisé en petites aiguilles, blanc argenté, tantôt très pur, tantôt combiné avec du soufre ; on y trouve aussi une pierre argileuse bleuâtre, crevassée, au milieu de laquelle l’alun s’est fait jour pour se cristalliser en efflorescence : cette mine est située dans un tuf volcanique où l’on trouve du soufre en masses errantes et disséminées… Il se trouve au fond de ces mines une eau vitriolique qui découle de la voûte ; cette eau, en filtrant à travers les couches qui surmontent la voûte, y forme une croûte, et dépose cet alun natif que l’on trouve aussi cristallisé de même dans plusieurs pierres… Il y a aussi de l’alun cristallisé et en efflorescence sur les parois des voûtes à Puzzola, comme à Mulino près de Latera… Il y a deux sources auprès des mines del Mulino, dont l’eau est chargée d’une terre alumineuse, blanchâtre, qui lui donne un goût très styptique… Le limon que l’eau abandonne, ainsi que les petites branches et herbes qui y surnagent ou qui restent à sec, se revêtissent d’une croûte alumineuse qui s’en détache aisément, et qui est sans mélange de terre : les grenouilles que l’on met dans cette eau ne peuvent y vivre, et cependant on y voit une très grande quantité de petits vermisseaux qui y multiplient : mais il n’y croît point de végétaux, et ces deux sources exhalent une odeur de foie de soufre très désagréable. M. Cassini fils, Mémoires de l’Académie des sciences, année 1777, p. 580 et suiv.
  2. Opuscules chimiques de M. Bergman, t. Ier, p. 304 et suiv.
  3. M. de Gensane, Mémoires des savants étrangers, t. IV.