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fondue participera d’autant plus des propriétés salines ; elle sera soluble par l’eau, ou même se résoudra spontanément en liqueur par l’humidité de l’air ; c’est ce que l’on nomme liqueur des cailloux : le quartz y est tenu en dissolution par l’alcali, au point de passer par le filtre.

» Tous les acides, et même l’eau chargée d’air fixe, précipitent cette liqueur des cailloux, parce qu’en s’unissant à l’alcali, ils le forcent d’abandonner la terre ; quand les deux liqueurs sont concentrées, il se fait une espèce de miracle chimique, c’est-à-dire que le mélange devient solide… On peut conclure de toutes les expériences faites à ce sujet : 1o que la terre quartzeuse éprouve pendant sa combinaison avec l’alcali, par la fusion, une altération qui la rapproche de l’état de l’argile, et la rend susceptible de former de l’alun avec l’acide vitriolique ; 2o que la terre argileuse et la terre quartzeuse, altérées par la vitrification, ont une affinité marquée, même par la voie humide, avec l’alcali privé d’air, etc… Aussi l’argile et l’alun sont bien réellement des sels vitrioliques à base de terre vitrifiable…

» L’argile est un sel avec excès de terre… et il est certain qu’elle contient de l’acide vitriolique, puisqu’elle décompose le nitre et le sel marin à la distillation ; on démontre que sa base est alumineuse, en saturant d’acide vitriolique l’argile dissoute dans l’eau et formant ainsi un véritable alun ; on fait passer enfin l’alun à l’état d’argile, en lui faisant prendre une nouvelle portion de terre alumineuse, précipitée et édulcorée : il faut l’employer tandis qu’elle est encore en bouillie, car elle devient beaucoup moins soluble en séchant, et cette circonstance établit une nouvelle analogie entre elle et la terre précipitée de la liqueur des cailloux[1]. »

Cette terre qui sert de base à l’alun est argileuse ; elle prend au feu, comme l’argile, toutes sortes de couleurs ; elle y devient rougeâtre, jaune, brune, grise, verdâtre, bleuâtre et même noire, et si l’on précipite la terre vitrifiable de la liqueur des cailloux, cette terre précipitée a toutes les propriétés de la terre de l’alun ; car en l’unissant à l’acide vitriolique on en fait de l’alun, ce qui prouve que l’argile est de la même essence que la terre vitrifiable ou quartzeuse.

Ainsi les recherches chimiques, bien loin de s’opposer au fait réel de la conversion des verres primitifs en argile, le démontrent encore par leurs résultats, et il est certain que l’argile ne diffère du quartz ou du grès réduits en poudre que par l’atténuation des molécules de cette poudre quartzeuse sur laquelle l’acide aérien, combiné avec l’eau, agit assez longtemps pour les pénétrer, et enfin les réduire en terre : l’acide vitriolique ne produirait pas cet effet, car il n’a point d’action sur le quartz ni sur les autres matières vitreuses ; c’est donc à l’acide aérien qu’on doit l’attribuer : son union d’une part avec l’eau, et d’autre part le mélange des poussières alcalines avec les poudres vitreuses, lui donnent prise sur cette même matière quartzeuse ; ceci me paraît assez clair, même en rigoureuse chimie, pour espérer qu’on ne doutera plus de cette conversion des débris de coquilles et d’autres productions du même genre, qui toutes peuvent fournir à l’acide aérien l’intermède alcalin, nécessaire à sa prompte action sur la matière vitrifiable ; d’ailleurs l’acide aérien, seul et sans mélange d’alcali, attaque avec le temps toutes les matières vitreuses ; car le quartz, le cristal de roche et tous les autres verres produits par la nature, se ternissent, s’irisent et se décomposent à la surface par la seule impression de l’air humide, et par conséquent la conversion du quartz en argile a pu s’opérer par la seule combinaison de l’acide aérien et de l’eau : ainsi les expériences chimiques prouvent ce que les observations en histoire naturelle m’avaient indiqué, savoir, que l’argile est de la même essence que le quartz, et qu’elle n’en diffère que par l’atténuation de ses molécules réduites en terre par l’impression de l’acide primitif et de l’eau.

  1. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 59, 70 et 71.