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Après ces vitriols à base métallique, on doit placer les vitriols à base terreuse qui, pris généralement, peuvent se réduire à deux : le premier est l’alun dont la terre est argileuse ou vitreuse, et le second est le gypse que les chimistes ont appelé sélénite, et dont la base est une terre calcaire. Toutes les argiles sont imprégnées d’acide vitriolique, et les terres qu’on appelle alumineuses ne diffèrent des argiles communes qu’en ce qu’elles contiennent une plus grande quantité de cet acide ; l’alun y est toujours en particules éparses, et c’est très rarement qu’il se présente en filets cristallisés : on le retire aisément de toutes les terres et pierres argileuses en les faisant calciner et ensuite lessiver à l’eau.

Le gypse, qu’on peut regarder comme un vitriol calcaire, se présente en stalactites et en grands morceaux cristallisés dans toutes les carrières de plâtre.

Mais, lorsque la quantité de terre contenue dans l’argile et dans le plâtre est très grande en comparaison de celle de l’acide, il perd en quelque sorte sa propriété la plus distinctive ; il n’est plus corrosif, il n’est pas même sapide, car l’argile et le plâtre n’affectent pas plus nos organes que toute autre matière ; et sous ce point de vue, on doit rejeter du nombre des substances salines ces deux matières, quoiqu’elles contiennent de l’acide.

Nous devons, par la même raison, ne pas compter au nombre des vitriols, ou substances vraiment salines, toutes les matières où l’acide en petite quantité se trouve non seulement mêlé avec l’une ou l’autre terre argileuse ou calcaire, mais avec toutes deux, comme dans les marnes et dans quelques autres terres et pierres mélangées de parties vitreuses, calcaires, limoneuses et métalliques : ces sels à double base forment un second ordre de matières salines, auxquelles on peut donner le nom d’hépar ; mais toute matière simple, mixte ou composée de plusieurs substances différentes, dans laquelle l’acide est engagé ou saturé, de manière à n’être pas senti ni reconnu par la saveur, ne doit ni ne peut être comptée parmi les sels sans abuser du nom ; car, alors, presque toutes les matières du globe seraient des sels, puisque presque toutes contiennent une certaine quantité d’acide aérien. Nous devons ici fixer nos idées par notre sensation ; toutes les matières insipides ne sont pas des sels, toutes celles au contraire dont la saveur offense, irrite ou flatte le sens du goût, seront des sels, de quelque nature que soit leur base et en quelque nombre ou quantité qu’elles puissent être mélangées ; cette propriété est générale, essentielle, et même la seule qui puisse caractériser les substances salines et les séparer de toutes les autres matières : je dis le seul caractère distinctif des sels, car l’autre propriété par laquelle on a voulu les distinguer, c’est-à-dire la solubilité dans l’eau, ne leur appartient pas exclusivement ni généralement, puisque les gommes et même les terres se dissolvent également dans toutes les liqueurs aqueuses, et que d’ailleurs on connaît des sels que l’eau ne dissout point[1], tels que le soufre qui est vraiment salin, puisqu’il contient l’acide vitriolique en grande quantité.

Suivons donc l’ordre des matières dans lesquelles la saveur saline est sensible ; et ne considérant d’abord que les composés de l’acide vitriolique, nous aurons, dans les minéraux, les vitriols de fer, de cuivre et de zinc auxquels on doit ajouter l’alun, parce que tous sont non seulement sapides, mais même corrosifs.

L’acide vitriolique, qui par lui-même est fixe, devient volatil en s’unissant à la matière du feu libre sur laquelle il a une action très marquée, puisqu’il la saisit pour former le soufre, et qu’il devient volatil avec lui dans sa combustion ; cet acide sulfureux volatil ne diffère de l’acide vitriolique fixe que par son union avec la vapeur sulfureuse dont il répand l’odeur ; et le mélange de cette vapeur à l’acide vitriolique, au lieu d’augmenter sa force, la diminue beaucoup ; car cet acide, devenu volatil et sulfureux, a beaucoup moins de puissance pour dissoudre ; son affinité avec les autres substances est plus faible ; tous les autres acides peuvent le décomposer, et de lui-même il se décompose par la seule éva-

  1. Lettres de M. Demeste, t. Ier, p. 44.