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aisément par la concentration ; car il perd peu à peu sa liquidité par la grande chaleur, et peut prendre une forme concrète[1] par la longue application d’un feu violent ; mais, dès qu’il est concentré, il attire puissamment l’humidité de l’air, et par l’addition de cette eau il acquiert plus de volume ; il perd en même temps quelque chose de son activité saline : ainsi l’eau ne réside dans cet acide épuré qu’en très petite quantité, et il n’y a de terre qu’autant qu’il en faut pour servir de base à l’air et au feu, qui sont fortement et intimement unis à cette terre vitrifiable.

Au reste, cet acide et les autres acides minéraux ne se trouvent pas dans la nature seuls et dégagés, et on ne peut les obtenir qu’en les tirant des substances avec lesquelles ils se sont combinés, et des corps qui les contiennent. C’est en décomposant les pyrites, les vitriols, le soufre, l’alun et les bitumes qu’on obtient l’acide vitriolique[2] : toutes ce

  1. Quelques chimistes ont donné le nom d’huile de vitriol glaciale à cet acide concentré au point d’être sous forme concrète : à mesure qu’on le concentre, il perd de sa fluidité, il file et paraît gras au toucher comme l’huile ; on l’a par cette raison nommé huile de vitriol, mais très improprement, car il n’a aucun caractère spécifique des huiles, ni l’inflammabilité. Le toucher gras de ce liquide semble provenir, comme celui du mercure, du grand rapprochement de ses parties ; et c’est en effet, après le mercure, le liquide le plus dense qui nous soit connu : aussi, lorsqu’il est soumis à la violente action du feu, il prend une chaleur beaucoup plus grande que l’eau et que tout autre liquide, et, comme il est peu volatil et point inflammable, il a l’apparence d’un corps solide pénétré de feu et presque en incandescence.
  2. Ce n’est pas que la nature ne puisse faire dans ses laboratoires tout ce qui s’opère dans les nôtres ; si la vapeur du soufre en combustion se trouve renfermée sous des voûtes de cavernes, l’acide sulfureux s’y condensera en acide vitriolique. M. Joseph Baldassari nous offre même à ce sujet une très belle observation : ce savant a trouvé dans une grotte du territoire de Sienne, au milieu d’une masse d’incrustation déposée par les eaux thermales des bains de Saint-Philippe, « un véritable acide vitriolique, pur, naturellement concret, et sans aucun mélange de substances étrangères… Cette grotte est située dans une petite montagne, sur la pente d’une montagne plus haute, qui paraît avoir été un ancien volcan… Le fond de cette grotte et ses parois jusqu’à la hauteur d’environ une brasse et demie, dit M. Baldassari, sont entièrement recouverts d’une belle croûte jaune de soufre en petits cristaux, et tous les corps étrangers, transportés par le vent ou par quelque autre cause dans le fond de cette caverne, y sont enduits d’une couche de soufre plus ou moins épaisse, suivant le temps qu’ils y ont séjourné.

    » Au-dessus de cette zone de soufre, le reste des parois et la voûte de la grotte sont tapissées d’une innombrable quantité de concrétions groupées, recouvertes d’efflorescences qui laissent sur la langue l’impression d’une saveur acide, mais d’un acide parfaitement semblable à celui qu’on retire du vitriol par la distillation, et n’ont rien de ce goût austère et astringent des vitriols et de l’alun… Le fond de la grotte exhale une vapeur chaude, qui répand une forte odeur de soufre, et s’élève à la même hauteur que la bande soufrée, c’est-à-dire à une brasse et demie… Mais cette vapeur ne s’élève que par le vent du midi…

    » On voit, dans la masse des incrustations, une grande fente qui a plus de trente brasses de profondeur, et dont les parois, dans la partie basse, sont recouvertes de soufre, et, dans la haute, des mêmes efflorescences salines que celles dont on vient de parler…

    » La vapeur du fond de la grotte est une émanation de ce que les chimistes appellent acide sulfureux volatil… L’odeur en est très forte et suffocante : aussi trouvai-je beaucoup d’insectes morts dans cette grotte, et l’un de mes compagnons ayant, en se baissant, plongé sa tête dans l’atmosphère infecte, fut obligé de la relever promptement pour éviter la suffocation.

    » Cet acide sulfureux volatil détruisit les couleurs du papier bleu que je jetai par terre, il devint cendré ; un morceau de soie cramoisie fut aussi pareillement décoloré, et tout ce que nous avions d’argent sur nous, comme boucles, etc., devint noir avec quelques taches jaunes…

    » Cette vapeur forme un soufre sur le fond des parois de la grotte… Et, après la formation de ce soufre, une portion de l’acide vitriolique excédante rencontre et regagne les