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de mucilage, la saveur est agréable et sucrée : l’acide des fruits, du raisin, par exemple, ne prend de l’aigreur que par la fermentation, et néanmoins tous les sels tirés des végétaux contiennent de l’acide, et ils ne diffèrent entre eux que par les qualités qu’ils acquièrent en fermentant et qu’ils empruntent de l’air en se joignant à l’acide qu’il contient ; et de même que tous les acides végétaux aigres ou doux, acerbes ou sucrés, ne prennent ces saveurs différentes que par les premiers effets de la fermentation, l’acide nitreux n’acquiert ses qualités caustiques et corrosives que par cette même fermentation portée au dernier degré, c’est-à-dire à la putréfaction : seulement nous devons observer que l’acide animal entre peut-être autant et plus que le végétal dans le nitre ; car, comme cet acide subit encore de nouvelles modifications en passant du végétal à l’animal, et que tous deux se trouvent réunis dans les matières putréfiées, ils s’y rassemblent, s’exaltent ensemble, et se combinant avec l’alcali fixe végétal, ils forment le nitre dont l’acide, malgré toutes ces transformations, n’en est pas moins essentiellement le même que l’acide aérien.

Tous les acides tirent donc leur première origine de l’acide aérien, et il me semble qu’on ne pourra guère en douter si l’on pèse toutes les raisons que je viens d’exposer, et auxquelles je n’ajouterai qu’une considération qui est encore de quelque poids. On conserve tous les acides, même les plus forts et les plus concentrés, dans des flacons ou vaisseaux de verre ; ils entameraient toute autre matière : or, dans les premiers temps, le globe entier n’était qu’une masse de verre sur laquelle les acides minéraux, s’ils eussent existé, n’auraient pu faire aucune impression, puisqu’ils n’en font aucune sur notre verre : l’acide aérien au contraire agit sur le verre, et peu à peu l’entame, l’exfolie, le décompose et le réduit en terre ; par conséquent, cet acide est le premier et le seul qui ait agi sur la masse vitreuse du globe, et, comme il était alors aidé d’une forte chaleur, son action en était d’autant plus prompte et plus pénétrante ; il a donc pu, en se mêlant intimement avec la terre vitrifiée, produire l’acide vitriolique qui n’a plus d’action sur cette même terre, parce qu’il en contient et qu’elle lui sert de base : dès lors cet acide, le plus fort et le plus puissant de tous, n’est néanmoins ni le plus simple de tous, ni le premier formé, il est le second dans l’ordre de formation, l’arsenic est le troisième, l’acide marin le quatrième, etc., parce que l’acide primitif aérien n’a d’abord pu saisir que la terre vitrifiée, ensuite la terre métallique[1], puis la terre calcaire, etc., à mesure et dans le même ordre que ces matières se sont établies sur la masse du globe vitrifié : je dis à mesure et dans le même ordre, parce que les matières métalliques sont tombées les premières de l’atmosphère où elles étaient reléguées et étendues en vapeurs ; elles ont rempli les interstices et les fentes du quartz et des autres verres primitifs, où l’acide aérien les ayant saisies a produit l’acide arsenical ; ensuite, après la production et la multiplication des coquillages, les matières calcaires, formées de leurs débris, se sont établies, et l’acide aérien les ayant pénétrées a produit l’acide marin, et successivement les autres acides et les alcalis après la naissance des animaux et des végétaux ; enfin, la production des acides et des alcalis a nécessairement précédé la formation des sels, qui tous supposent la combinaison de ces mêmes acides ou alcalis avec une matière terreuse ou métallique, laquelle leur sert de base et contient toujours une certaine quantité d’eau qui entre dans la cristallisation de tous les sels ; en sorte qu’ils sont beaucoup moins simples que les acides ou alcalis, qui seuls sont les principes de leur essence saline.

Ceci était écrit, ainsi que la suite de cette histoire naturelle des sels, et j’étais sur le point de livrer cette partie de mon ouvrage à l’impression, lorsque j’ai reçu (au mois de juillet de cette année 1782), de la part de M. le chevalier Marsilio Landriani, de Milan, le

  1. Les mines spathiques et les malachites contiennent notamment une très grande quantité d’acide aérien.