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trouve nulle part dans leur état pur et simple, et ce n’est que quand ils sont unis à quelque matière qui puisse leur servir de base qu’ils prennent la forme de sel, et qu’ils doivent en porter le nom ; cependant les chimistes les ont appelés sels simples, et ils ont nommé sels neutres les vrais sels. Je n’ai pas cru devoir employer cette dénomination, parce qu’elle n’est ni nécessaire ni précise ; car, si l’on appelle sel neutre tout sel dont la base est une et simple, il faudra donner le nom d’hépar aux sels dont la base n’est pas simple, mais composée de deux matières différentes, et donner un troisième, quatrième, cinquième nom, etc., à ceux dont la base est composée de deux, trois, quatre, etc., matières différentes : c’est là le défaut de toutes les nomenclatures méthodiques ; elles sont forcées de disparaître dès que l’on veut les appliquer aux objets réels de la nature.

Nous donnerons donc le nom de sel à toutes les matières dans lesquelles le principe salin est entré, et qui ont une saveur sensible ; et nous ne présenterons d’abord que les sels qui sont formés par la nature, soit en masses solides dans le sein de la terre, soit en dissolution dans l’air et dans l’eau : on peut appeler sels fossiles ceux qu’on tire de la terre ; les vitriols, l’alun, la sélénite, le natron, l’alcali fixe végétal, le sel marin, le nitre, le sel ammoniac, le borax, et même le soufre et l’arsenic, sont tous des sels formés par la nature ; nous tâcherons de reconnaître leur origine et d’expliquer leur formation, en nous aidant des lumières que la chimie a répandues sur cet objet plus que sur aucun autre, et les réunissant aux faits de l’histoire naturelle qu’on ne doit jamais en séparer.

La nature nous offre en stalactites les vitriols du fer, du cuivre et du zinc ; l’alun en filets cristallisés ; la sélénite en gypse aussi cristallisé ; le natron en masse solide et pure, ou simplement mêlé de terre ; le sel marin en cristaux cubiques et en masses immenses ; le nitre en efflorescences cristallisées ; le sel ammoniac en poudre sublimée par les feux souterrains ; le borax en eau gélatineuse, et l’arsenic en terre métallique ; elle a d’abord formé l’acide aérien par la seule et simple combinaison de l’air et du feu ; cet acide primitif, s’étant ensuite combiné avec toutes les matières terreuses et métalliques, a produit l’acide vitriolique avec la terre vitrifiable, l’arsenic avec les matières métalliques, l’acide marin avec les substances calcaires, l’acide nitreux avec les détriments putréfiés des corps organisés : il a de même produit les alcalis par la végétation ; l’acide du tartre et du vinaigre par la fermentation ; enfin, il est entré sous sa propre forme dans tous les corps organisés : l’air fixe que l’on tire des matières calcaires, celui qui s’élève par la première fermentation de tous les végétaux, ou qui se forme par la respiration des animaux, n’est que ce même acide aérien, qui se manifeste aussi par sa saveur dans les eaux acidules, dans les fruits, les légumes et les herbes ; il a donc produit toutes les substances salines, il s’est étendu sur tous les règnes de la nature ; il est le premier principe de toute saveur, et, relativement à nous, il est pour l’organe du goût ce que la lumière et les couleurs sont pour le sens de la vue.

Et les odeurs qui ne sont que des saveurs plus fines, et qui agissent sur l’odorat qui n’est qu’un sens de goût plus délicat, proviennent aussi de ce premier principe salin, qui s’exhale en parfums agréables dans la plupart des végétaux, et en mauvaises odeurs dans certaines plantes et dans presque tous les animaux ; il s’y combine avec leurs huiles grossières ou volatiles, il s’unit à leur graisse, à leurs mucilages ; il s’élabore avec leur sève et leur sang, il se transforme en acides aigres, acerbes ou doux, en alcalis fixes ou volatils, par le travail de l’organisation auquel il a grande part ; car, c’est après le feu le seul agent de la nature, puisque c’est par ce principe salin que tous les corps acquièrent leurs propriétés actives, non seulement sur nos sens vivants du goût et de l’odorat, mais encore sur les matières brutes et mortes, qui ne peuvent être attaquées et dissoutes que par le feu ou par ce principe salin. C’est le ministre secondaire de ce grand et premier agent qui, par sa puissance sans bornes, brûle, fond ou vitrifie toutes les substances passives, que le principe salin, plus faible et moins puissant, ne peut qu’attaquer, entamer et dis-