Page:Buffon - Œuvres complètes, éd. Lanessan, 1884, tome III.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cet acide primitif réside dans l’atmosphère, et y réside en grande quantité sous sa forme active : il est le principe et la cause de toutes les impressions qu’on attribue aux éléments humides ; il produit la rouille du fer, le vert-de-gris du cuivre, la céruse du plomb, etc., par l’action qu’il donne à l’humidité de l’air ; mêlé avec les eaux pures, il les rend acides ou acidules ; il aigrit les liqueurs fermentées ; avec le vin il forme le vinaigre ; enfin, il me paraît être le seul et vrai principe non seulement de tous les acides, mais de tous les alcalis, tant minéraux que végétaux et animaux.

On peut le retirer du natron ou alcali qu’on appelle minéral, ainsi que de l’alcali fixe végétal, et encore plus abondamment de l’alcali volatil, en sorte qu’on doit réduire tous tes acides et tous les alcalis à un seul principe salin ; et ce principe est l’acide aérien qui a été le premier formé, et qui est le plus simple, le plus pur de tous, et le plus universellement répandu : cela me paraît d’autant plus vrai que nous pouvons par notre art rappeler à cet acide tous les autres acides, ou du moins les rapprocher de sa nature, en les dépouillant, par des opérations appropriées, de toutes les matières étrangères avec lesquelles il se trouve combiné dans ces sels ; et que, de même, il n’est pas impossible de ramener les alcalis à l’état d’acide, en les séparant des substances animales et végétales avec lesquelles tout alcali se trouve toujours uni ; car, quoique la chimie ne soit pas encore parvenue à faire cette conversion ou ces réductions, elle en a assez fait pour qu’on puisse juger par analogie de leur possibilité : le plus ingénieux des chimistes, le célèbre Stahl, a regardé l’acide vitriolique comme l’acide universel, et comme le seul principe salin ; c’est la première idée d’après laquelle il a voulu établir sa théorie des sels ; il a jugé que, quoique la chimie n’ait pu jusqu’à ce jour ramener démonstrativement les alcalis à l’acide, c’est-à-dire résoudre ce que la nature a combiné, il ne fallait s’en prendre qu’à l’impuissance de nos moyens. Rien n’est mieux vu : ce grand chimiste a ici consulté la simplicité de la nature ; il a senti qu’il n’y avait qu’un principe salin, et comme l’acide vitriolique est le plus puissant des acides, il s’est cru fondé à le regarder comme l’acide primitif ; c’était ce qu’il pouvait penser de mieux dans un temps où l’on n’avait que des idées confuses de l’acide aérien, qui est non seulement plus simple, mais plus universel que l’acide vitriolique ; mais, lorsque cet habile homme a prétendu que son acide universel et primitif n’est composé que de terre et d’eau, il n’a fait que mettre en avant une supposition dénuée de preuves et contraire à tous les phénomènes, puisque de fait, l’air et le feu entrent peut-être plus que la terre et l’eau dans la substance de tout acide, et que ces deux éléments constituent seuls l’essence de l’acide primitif.

Des quatre éléments qui sont les vrais principes de tous les corps, le feu seul est actif ; et lorsque l’air, la terre et l’eau exercent quelque impression, ils n’agissent que par le feu qu’ils renferment, et qui seul peut leur donner une puissance active : l’air surtout, dont l’essence est plus voisine de celle du feu que celle des deux derniers éléments, est aussi plus actif. L’atmosphère est le réceptacle général de toutes les matières volatiles ; c’est aussi le grand magasin de l’acide primitif, et d’ailleurs tout acide considéré en lui-même, surtout lorsqu’il est concentré, c’est-à-dire séparé autant qu’il est possible de l’eau et de la terre, nous présente les propriétés du feu animé par l’air : la corrosion par les acides minéraux n’est-elle pas une espèce de brûlure ? La saveur acide, amère ou âcre de tous les sels, n’est-elle pas un indice certain de la présence et de l’action d’un feu qui se développe dès qu’il peut, avec l’air, se dégager de la base aqueuse ou terreuse à laquelle il est uni ? Et cette saveur, qui n’est que la mise en liberté de l’air et du feu, ne s’opère-t-elle pas par le contact de l’eau et de toute matière aqueuse, telle que la salive, et même par l’humidité de la peau ? Les sels ne sont donc corrosifs et même sapides que par le feu et l’air qu’ils contiennent. Cette vérité peut se démontrer encore par la grande chaleur que produisent tous les acides minéraux dans leur mélange avec l’eau, ainsi que par leur résistance à l’action de la forte gelée : la présence du feu et de l’air dans le principe salin