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la même essence que le soufre produit par le feu des volcans, parce que la cause de leur production, quoique si différente en apparence, ne laisse pas d’être au fond la même : c’est toujours le feu qui s’unit à l’acide vitriolique, soit par l’inflammation des matières pyriteuses, soit par leur effervescence occasionnée par l’humidité ; car cette effervescence n’a pour cause que le feu renfermé dans l’acide, dont l’action lente et continue équivaut ici à l’action vive et brusque de la combustion et de l’inflammation.

Ainsi le soufre se produit sous nos yeux en une infinité d’endroits, où jamais les feux souterrains n’ont agi[1], et non seulement nous trouvons ce soufre tout formé partout où se sont décomposés les débris des substances du règne animal et végétal ; mais nous sommes forcés d’en reconnaître la présence dans tous les lieux où se manifeste celle du foie de soufre, c’est-à-dire dans une infinité de substances minérales qui ne portent aucune empreinte de l’action des feux souterrains.

Le foie de soufre répand une odeur très fétide, et par laquelle on ne peut manquer de le reconnaître : son action n’est pas moins sensible sur une infinité de substances, et seul il fait autant et peut-être plus de dissolutions, de changements et d’altérations dans le règne minéral que tous les acides ensemble : c’est par ce foie de soufre naturel, c’est-à-dire par le mélange de la décomposition des pyrites et des matières alcalines, que s’opère souvent la minéralisation des métaux ; il se mêle aussi aux substances terreuses et aux pierres calcaires ; plusieurs de ces substances annoncent, par leur odeur fétide, la présence du foie de soufre ; cependant les chimistes ignorent encore comment il agit sur elles. Le foie de soufre ou sa seule vapeur noircit et altère l’argent : il précipite en noir tous les métaux blancs ; il agit sur toutes les substances métalliques par la voie humide comme par la voie sèche ; lorsqu’il est en liqueur et qu’on y plonge des lames d’argent, il les noircit d’abord et les rend bientôt aigres et cassantes ; il convertit en un instant le mercure en éthiops[2], et la chaux de plomb en galène[3] ; il ternit sensiblement l’étain, il rouille le fer ; mais on n’a pas assez suivi l’ordre de ses combinaisons, soit avec les métaux, soit avec les terres ; on sait seulement qu’il attaque le cuivre, et l’on n’a point examiné la composition qui résulte de leur union ; on ne connaît pas mieux l’état dans lequel il réduit le fer par la voie sèche ; on ignore quelle est son action sur les demi-métaux[4], et quels peuvent être les résultats de son mélange avec les matières calcaires par la voie humide, comme par la voie sèche ; néanmoins ces connaissances, que la chimie aurait dû nous donner, seraient nécessaires pour reconnaître clairement l’action du foie de soufre dans le sein de la terre, et ses différentes influences sur les substances, tant métalliques que terreuses : on connaît mieux son action sur les substances animales et végétales ; il dissout le charbon même par la voie humide, et cette dissolution est de couleur verte.

  1. On trouve, en Franche-Comté, des géodes sulfureuses qui contiennent un soufre tout formé, et produit, suivant toute apparence, par l’efflorescence des pyrites dans des lieux où elles auront en même temps éprouvé la chaleur de la putréfaction et de la fermentation.
  2. On a observé que cet éthiops, fait par le foie de soufre en liqueur, devient d’un assez beau rouge au bout de quelques années, et que le foie de soufre volatil agit encore plus promptement sur le mercure, car le précipité passe au rouge en trois ou quatre jours, et se cristallise en aiguilles comme le cinabre. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 40 et 41.
  3. Le foie de soufre s’unit au plomb par la voie sèche… Si l’on fait chauffer du foie de soufre en liqueur, dans lequel on ait mis une chaux de plomb, elle se trouve convertie au bout de quelques instants en une sorte de galène artificielle. Idem, ibidem, p. 41.
  4. Le nickel fondu avec le foie de soufre forme une masse métallique d’un jaune verdâtre qui attire l’humidité de l’air ; sa dissolution filtrée laisse précipiter des écailles métalliques que l’on peut refondre : c’est un mélange de soufre et de nickel ; il ne détone pas avec le nitre. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 45.