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l’air fixe prend la place du feu fixe à mesure qu’il se dégage et s’exhale en flamme, et que dans le phosphore, c’est l’air fixe qui se dégage le premier, et laisse le feu reprendre sa liberté ; cet effet s’opère sans le concours extérieur du feu libre, et par le seul contact de l’air, et dans toute matière où il se trouve des acides, l’air s’unit avec eux et se fixe encore plus aisément que le feu même dans les substances les plus combustibles.

Dans les explications chimiques on attribue tous les effets au phlogistique, c’est-à-dire au feu fixe seul, tandis qu’il n’est jamais seul, et que l’air fixe est très souvent la cause immédiate ou médiate de l’effet : heureusement que, dans ces dernières années, d’habiles physiciens, ayant suivi les traces du docteur Hales, ont fait entrer cet élément dans l’explication de plusieurs phénomènes, et ont démontré que l’air se fixait en s’unissant à tous les acides, en sorte qu’il contribue presque aussi essentiellement que le feu, non seulement à toute combustion, mais même à toute calcination, soit à chaud, soit à froid.

J’ai démontré[1] que la combustion et la calcination sont deux effets du même ordre, deux produits des mêmes causes ; et lorsque la calcination se fait à froid, comme celle de la céruse par l’acide de l’air, c’est que cet acide contient lui-même une assez grande quantité de feu fixe pour produire une petite combustion intérieure qui s’annonce par la calcination, de la même manière que la combustion intérieure des pyrites humectées se manifeste par l’inflammation.

On ne doit donc pas supposer, avec Stahl et tous les autres chimistes, que le soufre n’est composé que de phlogistique et d’acide, à moins qu’ils ne conviennent avec moi que le phlogistique n’est pas une substance simple, mais composée de feu et d’air, tous deux fixes ; que, de plus, ce phlogistique ne peut pas être identique et toujours le même, puisque l’air et le feu s’y trouvent combinés en différentes proportions et dans un état de fixité plus ou moins constant ; et de même on ne doit pas prononcer, dans un sens absolu, que le soufre, uniquement composé d’acide et de phlogistique, ne contient point d’eau, puisque l’acide vitriolique en contient, et qu’il a même avec cet élément assez d’affinité pour s’en saisir avidement.

L’eau, l’air et le feu peuvent également se fixer dans les corps, et l’on sera forcé, pour exposer au vrai leur composition, d’admettre une eau fixe, comme l’on a été obligé d’admettre un air fixe, après avoir admis le feu fixe ; et de même on sera conduit, par des réflexions fondées et par des observations ultérieures, à ne pas regarder l’élément de la terre comme absolument fixe, et on ne conclura pas, d’après l’idée que toute terre est fixe, qu’il n’existe point de terre dans le soufre, parce qu’il ne donne ni suie ni résidu après sa combustion : cela prouve seulement que la terre du soufre est volatile, comme celle du mercure, de l’arsenic et de plusieurs autres substances.

Rien ne détourne plus de la route qu’on doit suivre dans la recherche de la vérité que ces principes secondaires dont on fait de petits axiomes absolus, par lesquels on donne l’exclusion à tout ce qui n’y est pas compris : assurer que le soufre ne contient que le feu fixe et l’acide vitriolique, ce n’est pas en exclure l’eau, l’air et la terre, puisque dans la réalité ces trois éléments s’y trouvent comme celui du feu.

Après ces réflexions, qui serviront de préservatif contre l’extension qu’on pourrait donner à ce que nous avons dit, et à ce que nous dirons encore sur la nature du soufre, nous pourrons suivre les travaux de nos savants chimistes, et présenter les découvertes qu’ils ont faites sur ses autres propriétés. Ils ont trouvé moyen de faire du soufre artificiel, semblable au soufre naturel, en combinant l’acide vitriolique avec le phlogistique ou feu fixe animé par l’air[2] ; ils ont observé que le soufre, qui dissout toutes les matières métal-

  1. T. II, p. 240 et suiv.
  2. Pour prouver que c’est l’acide vitriolique qui forme le soufre avec le phlogistique ou feu fixe, il suffit de mettre cet acide dans une cornue, de lui présenter des charbons noirs,