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soufre ; et, comme les abus vont toujours en augmentant, on a aussi donné le même nom de soufre à tout ce qui peut brûler : ces applications équivoques ou fausses viennent de ce qu’il n’y avait dans aucune langue une expression qui pût désigner le feu dans son état fixe. Le soufre des anciens chimistes représentait cette idée[1], le phlogistique la représente dans la chimie récente, et l’on n’a rien gagné à cette substitution de termes ; elle n’a même fait qu’augmenter la confusion des idées, parce qu’on ne s’est pas borné à ne donner au phlogistique que les propriétés du feu fixe : ainsi le mot ancien de soufre ou le mot nouveau de phlogistique, dans la langue des sciences, n’auraient pas fait de mal s’ils n’eussent exprimé que l’idée nette et claire du feu dans son état fixe ; cependant feu fixe est aussi court, aussi aisé à prononcer que phlogistique, et feu fixe rappelle l’idée principale de l’élément du feu, et le représente tel qu’il existe dans les corps combustibles, au lieu que phlogistique qu’on n’a jamais bien défini, qu’on a souvent mal appliqué, n’a fait que brouiller les idées, et rendre obscures les explications des choses les plus claires ; la réduction des chaux métalliques en est un exemple frappant, car elle s’explique, s’entend aussi clairement que la précipitation, sans qu’il soit nécessaire d’avoir recours, avec nos chimistes, à l’absence ou à la présence du phlogistique.

Dans la nature et surtout dans la matière brute, il n’y a d’êtres réels et primitifs que les quatre éléments[NdÉ 1] : chacun de ces éléments peut se trouver en un état différent de mouvement ou de repos, de liberté ou de contrainte, d’action ou de résistance, etc. Il y aurait donc tout autant de raison de faire un nouveau mot pour l’air fixe, mais heureusement on s’en est abstenu jusqu’ici ; ne vaut-il pas mieux en effet désigner par une épithète l’état d’un élément, que de faire un être nouveau de cet état en lui donnant un nom particulier ? Rien n’a plus retardé le progrès des sciences que la logomachie, et cette création de mots nouveaux à demi techniques, à demi métaphoriques, et qui dès lors ne représentent nettement ni l’effet ni la cause : j’ai même admiré la justesse de discernement des anciens ; ils ont appelé pyrites les matières minérales qui contiennent en abondance la substance du feu ; avons-nous eu raison de substituer à ce nom celui de soufre, puisque les minerais ne sont en effet que des pyrites ? Et de même les anciens chimistes ont entendu, par le mot de soufre, la matière du feu contenue dans les huiles, les résines, les esprits ardents, et dans tous les corps des animaux et des végétaux, ainsi que dans la substance des minéraux ; avons-nous aujourd’hui raison de lui substituer celui de phlogistique ? Le mieux eût été de n’adopter ni l’un ni l’autre : aussi n’ai-je employé, dans le cours de cet ouvrage, que l’expression de feu fixe[2] au lieu de phlogistique, comme je n’emploie ici que celle de pyrite au lieu de soufre minéral.

  1. Le soufre des philosophes hermétiques était un tout autre être que le soufre commun ; ils le regardaient comme le principe de la lumière, comme celui du développement des germes et de la nutrition des corps organisés (voyez Georg Wolfgang Wedel, Éphémérides d’Allemagne, années 1678, 1679, et la Collection académique, partie étrangère, tome III, p. 415 et 416) ; et sous ces rapports il paraît qu’ils considéraient particulièrement, dans le soufre, son feu fixe, indépendamment de l’acide dans lequel il se trouve engagé : dans ce point de vue, ce n’est plus du soufre qu’il s’agit, mais du feu même, en tant que fixé dans les différents corps de la nature : il en fait l’activité, le développement et la vie, et, en ce sens, le soufre des alchimistes peut en effet être regardé comme le principe des phénomènes de la chaleur, de la lumière, du développement et de la nutrition des corps organisés. (Observation communiquée par M. l’abbé Bexon.)
  2. Le phlogistique et le feu fixe sont la même chose, dit très bien M. de Morveau, et le soufre n’est composé que de feu et d’acide vitriolique. Éléments de chimie, t. II, p. 21.
  1. Buffon, on le voit, admettait encore la théorie « des quatre éléments » : l’eau, la terre, l’air et le feu. Il me paraît tout à fait inutile de relever les innombrables erreurs contenues dans cet article.