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à laquelle on l’applique, trouve sa prison et des liens dans cet acide, qui lui-même est formé par l’intermède des autres éléments ; c’est par la combinaison de l’air et du feu que l’acide primitif a été produit, et dans les acides secondaires, les éléments de la terre et de l’eau sont tellement combinés qu’aucune autre substance simple ou composée n’a autant d’affinité avec le feu ; aussi cet élément se saisit de l’acide dès qu’il se trouve dans son état de pureté naturelle et sans eau superflue, il forme avec lui un nouvel être qui est le soufre, uniquement composé de l’acide et du feu.

Pour voir clairement ces rapports importants, considérons d’abord le soufre tel que la nature nous l’offre au sommet de ses volcans : il se sublime, s’attache et se cristallise contre les parois des cavernes qui surmontent tous les feux souterrains ; ces chapiteaux des fournaises embrasées par le feu des pyrites sont les grands récipients de cette matière sublimée ; elle ne se trouve nulle part en aussi grande abondance, parce que nulle part l’acide et le feu ne se rencontrent en aussi grand volume, et n’agissent avec autant de puissance.

Après la chute des eaux et la production de l’acide, la nature a d’abord renfermé une partie de la matière du feu dans les pyrites, c’est-à-dire, dans les petites masses ferrugineuses et minérales où l’acide vitriolique, se trouvant en quantité, a saisi cet élément du feu, et le retiendrait à perpétuité, si l’action des éléments humides[1] ne survenait pour le dégager et lui rendre sa liberté ; l’humidité, en agissant sur la matière terreuse et s’unissant en même temps à l’acide, diminue sa force, relâche peu à peu les nœuds de son union avec le feu, qui reprend sa liberté dès que ses liens sont brisés : dans cet incendie le feu, devenu libre, emporte avec sa flamme une portion de l’acide auquel il était uni dans la pyrite, et cet acide pur, et séparé de la terre qui reste fixe, forme, avec la substance de la flamme, une nouvelle matière uniquement composée de feu fixé par l’acide, sans mélange de terre ni de fer, ni d’aucune autre matière.

Il y a donc une différence essentielle entre le soufre et la pyrite, quoique tous deux contiennent également la substance du feu saisie par l’acide, puisque le soufre n’est composé que de ces deux substances pures et simples, tandis qu’elles sont incorporées dans la pyrite avec une terre fixe de fer ou d’autres minéraux : le mot de soufre minéral, dont on a tant abusé, devrait être banni de la physique, parce qu’il fait équivoque et présente une fausse idée ; car ce soufre minéral n’est pas du soufre, mais de la pyrite, et de même toutes les substances métalliques, qu’on dit être minéralisées par le soufre, ne sont que des pyrites qui contiennent, à la vérité, les principes du soufre, mais dans lesquelles il n’est pas formé. Les pyrites martiales et cuivreuses, la galène du plomb, etc., sont autant de pyrites dans lesquelles la substance du feu et celle de l’acide se trouvent plus ou moins intimement unies aux parties fixes de ces métaux : ainsi les pyrites ont été formées par une grande opération de la nature, après la production de l’acide et des matières combustibles, remplies de la substance du feu ; et le soufre ne s’est formé que par une opération secondaire, accidentelle et particulière, en se sublimant avec l’acide par l’action des feux souterrains. Les charbons de terre et les bitumes qui, comme les pyrites, contiennent de l’acide, doivent par leur combustion produire de même une grande quantité de soufre : aussi toutes les matières, qui servent d’aliment au feu des volcans et à la chaleur des eaux thermales, donnent également du soufre dès que par les circonstances locales, l’acide, et le feu qui l’accompagne et l’enlève, peuvent être arrêtés et condensés par le refroidissement.

On abuse donc du nom de soufre, lorsqu’on dit que les métaux sont minéralisés par le

  1. L’eau seule ne décompose pas les pyrites : le long des falaises des côtes de Normandie, les bords de la mer sont jonchés de pyrites que les pêcheurs ramassent pour en faire du vitriol.

    La rivière de Marne, dans la partie de la Champagne crayeuse qu’elle arrose, est jonchée de pyrites martiales qui restent intactes tant qu’elles sont dans l’eau, mais qui s’effleurissent dès qu’elles sont exposées à l’air.