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DE PHILIPPE

mant, ne lui laissant que ce trouble d’une femme chaude dans un lit défait, eût été le bonheur.

Les autres auraient pensé à des nuits d’amour : elles étaient rares, comme des récompenses imprévues — et aussi comme une taxe et un droit que l’on acquitte pour faire partie de la confrérie. Le péché n’en était que plus grand, aurait dit un casuiste, parce que Philippe monopolisait, immobilisait, détournait non pas à son profit, mais à son savoir.

Il se levait, doucement, par petits gestes, par morceaux, pour ne pas la réveiller, et, presque dévêtu, il allait boire les premiers coups. Dans le calme de la campagne, il y avait du soleil, le soleil du matin, avec les bruits clairs, et toujours d’ailleurs. On aurait dit quelque part le ronron d’une eau qui bout. Et toujours une cuisine, avec de la vaisselle maculée, mais des couleurs riantes dans ces reliefs de la veille, et la lumière jouait dans les ronds de café. Philippe avait envie de chanter pour accompagner cette chair chaude qui respire. Il s’en détournait vite, il vivait, il vivait à larges respirations. Il était riche, « j’ai une femme dans la chambre, et je suis seul maître de moi, libre ». Il se donnait le plaisir de lire une page, de griffonner trois lignes. Il ne se hâtait pas. Il fermait la porte de la cuisine, et la bouteille sur la table, il faisait cuire ses œufs, qu’il mangeait goulûment. Un tram passait, très loin, le bruit disparaissait aussi vite qu’une bête dans son