Page:Brontë - Le Professeur.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée

qu’au soir, puis rentrer dans ta chambre où tu retrouveras la solitude : car la compagnie de Brown, de Smith ou de Nicholl, ne te donne aucun plaisir. Quant à Hunsden, tu as pensé un moment que sa société pourrait t’être agréable ; comment trouves-tu l’épreuve que tu en as faite hier au soir ? Il a de l’intelligence, un esprit original, il va même jusqu’à te témoigner un certain intérêt ; mais tu ne peux pas l’aimer, ta dignité s’y oppose : il était là pendant qu’on t’humiliait ; il ne te verra jamais que sous un bien triste jour. Il y a d’ailleurs trop de différence entre vos deux positions ; et, quand elles seraient égales, vos deux esprits ne cadreraient pas ensemble : n’espère donc pas recueillir le miel de l’amitié sur cette plante épineuse… William, William ! où s’envole ta pensée ?… Tu t’éloignes du souvenir d’Hunsden, comme une abeille d’un rocher, un oiseau du désert, et tes aspirations déploient leurs ailes vers une terre bénie où tu oses, à la clarté du jour qui luit sur cette usine, rêver de repos, de sympathie et d’union ? tu ne les trouveras point ici-bas ; ce sont des anges ; l’âme du juste, purifiée de ses fautes, peut les rencontrer dans le ciel, mais ton âme ne sera jamais parfaite… Huit heures ! Allons, William, à l’ouvrage ! tes mains sont dégourdies.

— À l’ouvrage ! et pourquoi travailler ? me demandai-je tristement ; je ne parviens pas à contenter mon maître, en dépit de ce travail de forçat.

— À l’ouvrage ! reprit la voix intérieure.

— À quoi bon ? » répondis-je en grommelant.

Néanmoins j’ouvris un paquet de lettres, et je commençai ma tâche plus amère que celle de l’Israélite rampant sur le sol brûlé d’Egypte.

Vers dix heures, j’entendis la voiture de M. Crimsworth qui tournait dans la cour ; une minute après, il était dans le bureau ; il avait coutume de jeter, en entrant, un coup d’œil à Steighton et à moi, de pendre son