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thie qui existait entre mon patron et moi poussait chaque jour des racines plus profondes et m’entourait d’un nuage si épais que je ne voyais plus le moindre rayon de soleil ; je souffrais comme une plante qui croît à l’ombre humide et visqueuse de l’intérieur d’un puits.

Le sentiment qu’éprouvait Édouard à mon égard ne peut s’exprimer que par le mot antipathie ; un sentiment involontaire, et que développait tout ce qui venait de moi, un geste ou un regard, quelle que fût leur insignifiance. Mon accent méridional l’impatientait ; il s’irritait de l’éducation dont témoignait mon langage ; mon exactitude, mon travail et ma conduite irréprochables ajoutaient à son inimitié la saveur poignante de l’envie. Il craignait que je n’en vinsse un jour à trop bien réussir ; il m’aurait moins détesté, s’il m’avait cru son inférieur ; mais il supposait que je cachais sous mon silence des trésors intellectuels dont il était privé. Il m’aurait pardonné beaucoup de choses, s’il avait pu me mettre une seule fois dans une position ridicule ou mortifiante ; mais j’étais protégé par un esprit observateur, du tact, de la prudence ; et, quelle que fût la malignité d’Édouard, il ne réussit pas à tromper les yeux de lynx de ces gardiens vigilants. Sans cesse au guet, il espérait toujours que l’un ou l’autre finirait par se fatiguer et que sa malice pourrait enfin se glisser jusqu’à moi pendant qu’ils dormiraient ; mais le tact ne sommeille pas lorsqu’il est naturel.

Je venais de recevoir le premier terme de mes appointements et je rentrais chez moi, jouissant en secret de la pensée que le maître qui m’avait payé regrettait chaque penny de ce salaire si péniblement gagné (depuis longtemps j’avais cessé de regarder M. Crimsworth comme un frère ; il n’était pour moi qu’un tyran sans pitié, et ne cherchait pas à le cacher). Des pensées peu variées, mais vivaces, occupaient mon esprit ; deux voix