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aurait voulu voir Frances continuer sur le même ton, mais ce n’était pas dans sa nature : elle n’éprouvait aucun plaisir à déployer une vigueur qui ne se révélait jamais que dans certaines circonstances, alors que l’entraînement faisait jaillir la passion des profondeurs où elle gisait cachée. Il lui était arrivé une ou deux fois, en causant avec abandon, de m’exprimer des pensées audacieuses en un langage nerveux et passionné ; mais la manifestation terminée, j’avais essayé vainement de faire revivre cette ardeur qui naissait et disparaissait d’elle-même. Elle répondit aux excitations d’Hunsden par un sourire, et revenant au premier objet de leur dispute :

« Si l’Angleterre a si peu de valeur, pourquoi les autres nations ont-elles tant de respect pour elle ?

— Un enfant ne me demanderait pas cela, répondit Hunsden, qui ne donnait jamais une explication sans reprocher à celui qui la motivait son ignorance ou sa stupidité ; si vous aviez été mon élève, plutôt que d’avoir le malheur d’être celle d’un esprit déplorable qui n’est pas loin d’ici, je vous mettrais le bonnet d’âne pour une semblable question. Mais ne savez-vous pas, mademoiselle, que c’est avec notre or que nous achetons la politesse de la France, la bonne volonté de l’Allemagne et la servilité de la Suisse ?

— De la Suisse ! appelez-vous mes compatriotes serviles, monsieur ? » s’écria Frances qui se leva tout à coup. Je ne pus m’empêcher de sourire ; l’indignation éclatait dans ses yeux, et son attitude semblait défier son adversaire. « Vous osez calomnier la Suisse devant moi, monsieur Hunsden, poursuivit-elle ; croyez-vous donc que je n’aie aucun souvenir, que je m’appesantisse uniquement sur la dégradation qu’on peut trouver au fond des Alpes, et que j’aie effacé de mon cœur les vertus sociales de mes compatriotes, notre liberté conquise au prix de