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L’heure était avancée lorsque je rentrai chez moi ; j’avais oublié provisoirement que l’homme est soumis aux besoins grossiers de la faim et de la soif, et je me couchai sans avoir rien mangé depuis le matin. Il y avait quinze jours que je ne m’étais reposé ni de corps ni d’esprit ; le délire qui avait rempli les dernières heures de la journée, troublait, en prolongeant son extase, le sommeil dont j’avais si grand besoin. Je finis cependant par m’endormir, mais non pas pour longtemps ; les ténèbres étaient profondes, et mon réveil au milieu de cette nuit épaisse fut semblable à celui de Job lorsqu’un esprit effleura son visage : comme lui, je sentis se hérisser tous les poils de ma chair ; je ne distinguais rien, et cependant quelque chose passa mystérieusement devant ma face, et mon oreille, saisissant un murmure, entendit ces paroles :

« Au milieu de la vie, nous sommes avec la mort. »

Cette hallucination, et l’angoisse dont elle était accompagnée, aurait été regardée par certaines personnes comme un fait surnaturel ; mais je reconnus immédiatement l’effet de la réaction : l’essor de l’homme est toujours entravé par sa nature mortelle, et c’était mon corps qui tremblait et gémissait, mes nerfs qui rendaient un son faux, parce que l’âme, s’étant précipitée vers l’objet de ses désirs, avait oublié la faiblesse relative de son enveloppe matérielle. Un frisson d’horreur s’était emparé de moi ; ma chambre était envahie par un hôte que j’avais connu jadis, et dont je croyais être délivré pour toujours ; l’hypocondrie était revenue, je me sentais en proie à ses amères tristesses. Elle avait été la compagne de mon enfance, compagne fidèle que j’abritais secrètement, qui partageait ma couche et qui assistait à mes repas ; elle me suivait à la promenade, me montrait, à la place des bois et des collines, de sombres cavernes où, s’asseyant à, mes côtés, elle m’enveloppait