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des joues rosées marquées de charmantes fossettes. Je nourrissais l’idée flatteuse que mon amour pour elle était la preuve d’une perspicacité particulière. « Elle est sans beauté, sans fortune, me disais-je ; elle n’a pas beaucoup de talent, et cependant elle est pour moi un trésor : il faut nécessairement que je sois un homme d’une pénétration tout exceptionnelle. » Ce soir je commençais à comprendre que j’avais pu me tromper, que c’était mon goût et non mon discernement qui était unique ; pour moi, Frances avait des charmes réels ; personne d’ailleurs n’avait à lui reprocher de ces défauts choquants, de ces difformités qui défient l’enthousiasme des plus audacieux champions de l’intelligence ; champions masculins, toutefois : car une femme peut aimer un homme en dépit de la plus atroce laideur, s’il a du génie, ou même un talent véritable ; mais si Frances eût été louche, édentée, rugueuse ou bossue, mes sentiments pour elle auraient pu être affectueux, et nullement passionnés ; j’avais de l’amitié pour Sylvie, mais la pauvre enfant, chétive et contrefaite, ne m’aurait jamais inspiré le moindre amour. Il est certain que les qualités morales de Frances avaient tout d’abord excité mon intérêt, et conservaient tous les droits qu’elles avaient à ma préférence ; mais la limpidité de son regard, la délicatesse de son teint, la blancheur de ses dents bien rangées, les lignes gracieuses de sa taille, étaient pour moi une source de plaisir matériel dont je me serais difficilement privé ; j’étais donc sensuel à ma façon, en dépit de la tranquillité de mes manières et de mon extrême délicatesse.

Ne croyez pas, lecteur, que je vais continuer à vous servir un miel parfumé, tout fraîchement extrait des bruyères et des roses ; voici la goutte de fiel, une goutte seulement, il est vrai, mais qu’à son tour il vous faudra subir.