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monsieur, quelle est ma façon d’agir, celle que je préfère à toutes ? » Elle leva les yeux sur moi ; son regard était cette fois parfaitement composé : beaucoup de finesse, plus de déférence encore, une pointe de coquetterie, et le sentiment non déguisé de sa propre valeur dont elle avait conscience. J’inclinai la tête en signe d’approbation ; elle me traitait comme le Grand-Mogol, j’agissais à son égard en véritable despote ; elle poursuivit : « J’aime, reprit-elle, à être assise tranquillement, mon tricot à la main, tandis que les circonstances passent devant mon fauteuil ; j’épie la marche qu’elles suivent ; je garde le silence, tant qu’elles vont comme je le désire ; je ne bats pas des mains et je ne crie pas bravo ! Je n’attire pas l’attention des voisins ; je n’excite pas leur envie en disant que je suis heureuse ; je me tais, je reste passive. L’événement au contraire vient-il à mal tourner, ma vigilance redouble sans que je parle davantage ; mon tricot va toujours, ma bouche est close ; mais de temps à autre j’avance le pied, et de l’orteil poussant la circonstance rebelle, je la tourne sans bruit du côté que je désire, et j’arrive à mon but sans que personne ait deviné mon expédient. Lorsque, par exemple, un professeur me déplaît, s’il est ennuyeux ou sans talent, en un mot si, en restant chez moi, il compromet la prospérité de mon pensionnat, je me mets à mon tricot, les événements s’accumulent ; j’en vois un qui, poussé d’un certain côté, rendra insupportable la position que je voudrais voir devenir libre ; je dirige le mouvement, la chose arrive comme je le désire, je me suis délivrée d’un embarras et j’ai évité de me faire un ennemi. »

L’instant d’avant elle m’avait paru séduisante ; je ne pouvais maintenant la regarder qu’avec dégoût. « Cette façon d’agir est bien de vous, lui répondis-je froidement. Voilà donc comment vous avez chassé Mlle Henri