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Le premier portrait que je trouve dans mon album est celui d’Aurélia Koslow, jeune Allemande (ou plutôt demi-sang russe et germain) envoyée à Bruxelles pour y achever son éducation. Elle a dix-huit ans, les jambes courtes, le buste long, très-développé sans être bien fait ; la taille roide, horriblement comprimée par un corset cruellement baleiné ; de gros pieds torturés dans des bottines trop étroites ; une petite tête, des cheveux lissés, nattés, pommadés, huilés, gommés avec la dernière perfection ; une toilette des plus soignées, un front bas, de petits yeux gris vindicatifs, quelque chose du Tartare : le nez légèrement aplati, les pommettes des joues un peu saillantes : néanmoins on ne peut pas dire qu’elle soit laide, grâce probablement à une certaine fraîcheur. Quant au moral, une ignorance crasse, une inintelligence complète ; incapable d’écrire et de parler correctement sa propre langue : stupide en français, et ne pouvant pas même écorcher un mot d’anglais. Il y a pourtant douze ans qu’Aurélie est en pension ; mais, comme elle a toujours fait faire ses devoirs par l’une ou l’autre de ses compagnes, et qu’au lieu d’apprendre ses leçons elle les récite en les lisant dans son livre qu’elle tient caché sur ses genoux, il n’est pas étonnant que ses progrès aient été peu rapides. Je ne sais pas comment elle emploie sa journée et quelles sont ses habitudes, puisque je ne la vois que pendant les heures de leçon : toutefois, à en juger d’après son pupitre et ses cahiers, je crois pouvoir affirmer qu’elle est souverainement malpropre ; sa toilette extérieure est, comme je l’ai dit, faite avec beaucoup de soin ; mais en passant derrière elle j’ai vu que son cou avait besoin d’être nettoyé, et que l’état de sa chevelure n’inspirait pas le désir d’en toucher les nattes luisantes, encore moins celui de glisser les doigts entre ses mèches engluées ; sa conduite à mon égard a quelque chose d’étrange, con-