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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

arrêts continuels ; l’inquiétude de l’issue de mon voyage me hantait. Je me blottis dans un coin du compartiment ; je voulus lire sans y parvenir, la nuit me parut sans fin. Lorsque vint le jour, j’étais plus triste encore ; dès que je mettais la tête à la portière, je voyais à toutes les stations des soldats allemands, l’arme au bras sur les quais, faisant circuler les voyageurs.

J’avoue que j’ai peu observé le paysage, mon esprit était trop préoccupé. Cependant quelqu’un me fit remarquer une colline assez élevée, au sommet de laquelle, il y a une chapelle. Nous étions à Vesoul.

Nous roulons encore deux heures et nous arrivons à Belfort. Il y avait une grande animation. C’était le jour où les Alsaciens et les Lorrains qui avaient opté pour la France devaient quitter leur pays. (1er octobre 1872.) Ce spectacle ne manquait pas de grandeur patriotique. De bonnes vieilles grand’mères, en costume alsacien, sur leur coiffe un immense nœud en crêpe noir, en signe de deuil, accompagnées de jeunes enfants filles et garçons, se tenaient en rangs devant la barrière qui séparait le quai de la voie. Au moment où le coup de sifflet du départ retentit, il y eut une touchante manifestation en l’honneur des jeunes Lorrains qui, pour rester Français, quittaient leur famille. Tous les assistants chantèrent le refrain patriotique (l’Alsace et la Lorraine).

Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine
Et malgré vous nous resterons Français.
Vous avez pu germaniser la plaine
Mais notre cœur, vous ne l’aurez jamais.