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DE LADY AUDLEY

« Si on parvenait à le lui persuader, comme il serait malheureux ! » se dit-elle.

À cette pensée vint s’en mêler une autre, — celle de sa jolie figure, de ses manières ravissantes, de son sourire malin, et de sa voix harmonieuse, qui ressemblait au tintement argentin des cloches dans une vaste prairie ou au murmure d’une rivière par une chaude soirée d’été. Elle songea à tout cela, et le tressaillement de triomphe qu’elle éprouva domina sa terreur.

Lors même que sir Michaël vivrait cent ans, qu’il croirait à tout ce qu’on lui dirait d’elle et la mépriserait, pourrait-il ne plus songer à tous ces attributs charmants ? Non, un million de fois non. Jusqu’à la dernière heure de sa vie, sa mémoire la lui représenterait sous ses traits aimables et enchanteurs qui avaient conquis son admiration enthousiaste et son cœur. Ses ennemis les plus cruels ne pourraient lui enlever cet avantage de la beauté qui avait eu sur son esprit frivole une influence si désastreuse.

Elle se promena dans son cabinet de toilette, à la lueur argentée de la lampe, et réfléchit sur la lettre étrange qu’elle avait reçue de Robert Audley. Il lui fallut quelque temps avant de raffermir ses idées, — avant de rassembler toutes les forces de son esprit étroit sur l’important sujet fourni par la menace renfermée dans la lettre de l’avocat.

« Il le fera, se dit-elle les dents serrées ; il le fera, à moins que je ne le fasse entrer auparavant dans une maison de fous, ou à moins que… »

Elle n’acheva pas sa pensée en paroles, elle ne l’acheva pas même en esprit, mais les pulsations de son cœur épelèrent une à une toutes les syllabes de la phrase en frappant contre sa poitrine.

Cette pensée était celle-ci : « Il le fera, à moins que quelque malheur extraordinaire ne lui arrive et ne le rende muet pour toujours. » Le sang afflua vers la