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LA TRACE

Un homme, qui venait d’entrer sans faire de bruit dans la petite salle, passa derrière lui et lui frôla l’épaule ; la maison de cartes vacilla et tomba sur la table.

Jabez se retourna furieux.

« Pourquoi diable avez-vous fait cela ? » demanda-t-il.

L’homme fit un geste d’excuse, porta les doigts à ses lèvres et secoua la tête.

« Oh ! dit Jabez, sourd et muet, tant mieux ! »

L’étranger s’assit à une autre table, sur laquelle le cabaretier déposa une pinte de bière, puis il prit un journal et parut lire attentivement ; mais, abrité derrière la feuille, il épiait Jabez d’un regard furtif, et pendant tout ce temps sa bouche inclinait fortement à gauche par un mouvement nerveux.

Cependant la femme n’avait pas touché l’argent, elle n’avait pas même changé de position ; mais maintenant elle s’approcha de la table et prit un à un les quatre souverains.

« Après ce que vous m’avez dit aujourd’hui, je verrais cet enfant mourir de faim d’heure en heure plutôt que de toucher un morceau de pain acheté avec votre argent. J’ai entendu dire que les eaux de cette rivière sont pernicieuses et qu’elles donnent la mort à ceux qui vivent sur ses bords ; mais je sais si bien que les pensées de votre ignoble cœur sont beaucoup plus pernicieuses et un poison plus