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DU SERPENT.

que j’épouserai, mais plutôt la femme que je dois essayer d’épouser, car à ce moment, ne l’oubliez pas, je n’avais pas encore en main une seule carte pour la grande partie que j’avais à jouer. Je levai ma lorgnette et examinai longuement votre visage. Un magnifique visage en vérité, opinion depuis longtemps arrêtée entre vous et votre miroir. Je fus, je vous en demande pardon, désappointé. N’eussiez-vous été qu’une femme déshonnête, mes chances n’en eussent été que meilleures. Eussiez-vous été même bossue (je ne parle que d’une légère élévation d’une blanche épaule plus orgueilleuse, peut-être, que sa compagne) votre chevelure eût-elle même été colorée d’un soupçon de nuance rouge que les préjugés condamnent, que c’eût été pour moi un avantage superbe. Vain espoir de vous conquérir par la flatterie, puis un nouveau coup d’œil m’apprit que vous n’étiez pas assez naïve pour vous laisser subjuguer par un stratagème ou égarer par des phrases romanesques et cependant, mademoiselle, je ne désespérai pas encore. Vous étiez belle, vous étiez passionnée ; dans vos veines coulait le sang ardent d’une nation dont les enfants aiment ou haïssent jusqu’à la folie. Vous aviez, en un mot, un cœur et vous pouviez avoir un secret.

— Monsieur !

— Sous aucun rapport, vous observer n’était pas perdre son temps et, en conséquence, je vous