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LA TRACE

tes ses phases, passa devant elle et prit toutes les expressions, tantôt rêveuse, tantôt rayonnante d’animation radieuse, puis cynique ou pleine de mélancolie, mais toujours distincte et palpable, toujours devant elle, nuit et jour. Le tableau de sa première rencontre avec lui, son mariage secret, la petite chapelle à quelques lieues de Paris, le vieux prêtre, la cruelle découverte dans le Bois de Boulogne, la scène de la trahison, le petit appartement de M. Blurosset, les cartes et le poison. Chaque action de cette sombre période de sa vie se présentait dans son cerveau en désordre, toujours et toujours ; cent fois pendant les longues journées, et cent fois pendant les nuits plus longues encore. De sorte que, le mois finissant, et étant assez forte pour passer d’une pièce dans une autre, elle n’offrit aux yeux de son oncle que les débris de sa superbe et charmante héritière.

Le château du marquis, à quelques lieues de la ville de Dijon, était situé dans un parc aussi sauvage et aussi inculte qu’une forêt. Un parc rempli de vieux arbres énormes, et composé de terrains marécageux et couverts de roseaux avec des mares d’eau stagnante qui, dans le bon temps du vieux régime, étaient battues pendant la nuit par les paysans soumis, afin que M. le marquis pût dormir dans son lit de Boule, à la Louis XIV, sans être troublé par les croassements des grenouilles.