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LA TRACE

chose de particulier qui la rend plus que d’habitude le point de mire de tous les observateurs.

Elle s’assoit immédiatement, faisant face au théâtre, et pose son riche bouquet, qui est d’un blanc pur, étant entièrement composé de fleurs d’oranger, de perce-neige et de jasmin : mélange de l’hiver, de l’été et de fleurs de serre chaude, que sa bouquetière sait lui vendre fort cher. Elle couvre l’intensité de son regard, qui est le caractère distinctif de son visage, d’un voile de tristesse et d’indifférence. Elle n’a aucune envie de regarder, de voir la figure pâle de M. de Marolles, qui flâne, le dos tourné à l’orchestre et sa lorgnette à la main.

Le marquis jette un coup d’œil sur le programme et le rejette loin de lui d’un air mécontent.

« Cette abominable empoisonneuse, dit-il, quand donc les Parisiens seront-ils fatigués de ses horreurs ? »

Sa nièce lève légèrement ses sourcils, mais non ses yeux, en disant :

« Ah oui, vraiment, quand ?

— Je n’aime pas ces sujets, continue le marquis ; même la touche de Victor Hugo ne peut les empêcher d’être repoussants, puis il y a beaucoup à dire sur leur mauvaise influence. Ils sont un dangereux exemple. Lucrèce Borgia en velours noir se vengeant d’une insulte, au point de vue des règles dramatiques et de la musique de Donizetti,