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DU SERPENT.

rible torture dans votre poitrine ; tandis que vous entendiez son pas sur le théâtre, dans la salle comble de l’Opéra ? Mensonges inutiles, madame, torture perdue ; car votre idole n’en était pas digne. Votre dieu riait de votre adoration, parce que c’était un faux dieu ; et que les attributs pour lesquels vous le révériez, la fidélité, la loyauté et le génie tels que nul homme n’en a jamais possédé, n’étaient pas des attributs lui appartenant, mais les produits de votre propre imagination dont vous le pariez, parce que vous étiez éprise de sa belle figure. Bah ! madame, après tout, vous vous êtes affolée d’un profil bien découpé et d’une voix mélodieuse. Vous n’êtes pas la première de votre sexe dans cette situation, Dieu veuille que vous soyez la dernière ?

— Vous m’avez montré pourquoi je devais haïr cet homme, indiquez-moi comment je dois me venger, si vous voulez me servir. Mes compatriotes ne pardonnent point. Oh ! Gaston de Lancy, avoir été l’esclave de chacun des mots qui tombaient de tes lèvres, l’aveugle idolâtre de chacun de tes regards, t’avoir donné autant, et pour récompense, ne recueillir que ton mépris ! »

Elle prononça ces paroles d’une voix rauque et sans larmes dans les yeux. Dans quelques années, peut-être, elle pourra pleurer sur ce déplorable enivrement, maintenant son désespoir est trop poignant pour avoir des pleurs.