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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

dans l’estime de leurs maîtresses et de leurs compagnes ; elles étaient une sorte de noblesse, et dans leur simplicité d’esprit, ces supérieures du couvent parlaient avec quelque orgueil de ces jeunes personnes aux étrangers qui venaient visiter leur établissement.

Il y avait des brebis galeuses, même dans le couvent du Sacré-Cœur, des demoiselles marquées d’un signe qui voulait dire « dangereuses. »

Heureusement pour Gustave, ses filles étaient parmi les plus sages, les plus studieuses ; elles ne lui causèrent aucun tourment, si ce n’est toutefois à propos de son château.

« C’est bien ennuyeux et bien triste de demeurer à Cotenoir, papa, disaient-elles, bien que tu sois toujours bien bon pour nous. Ce n’est pas un endroit où l’on puisse rester. Beaubocage est une habitation plus agréable. À Cotenoir, quand tu es sorti, il n’y a personne à qui l’on puisse parler. Nous n’avons jamais eu l’occasion de faire de petites parties, des excursions au dehors, aucun de ces plaisirs dont nos compagnes nous parlent souvent et qui nous font joliment envie. »

C’était là le thème habituel des lamentations de Clarisse et de Madelon, et le père ne savait comment s’y prendre pour que Cotenoir fût une résidence agréable.

Ses filles ne pouvaient se plaindre, car il était toujours aux ordres de leurs moindres caprices, mais il y avait cependant un élément qui manquait à leur bonheur, et Lenoble s’apercevait que c’était celui-là.

La vie à Cotenoir était décousue et désordonnée, faite de pièces et de morceaux, de demi-résolutions, de projets commencés, laissés, repris, n’aboutissant à rien.

Le bon génie, l’ange d’une maison, l’ordre, manquait dans ce domaine ; ce n’était que gaspillage, malpro-