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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Elle ne put aller plus loin que la sombre hôtellerie de la Cité, où la déposa la voiture publique de Southampton : elle était venue par le Havre.

Là, elle se sentit accablée et eut à peine assez de force pour écrire une lettre incohérente à sa sœur, Mme Halliday, à la ferme de Newhall, près Huxter’s Cross, comté d’York.

Là sœur arriva aussi vite que la meilleure diligence de la grande route du Nord put l’amener ; il y avait une joie infinie dans son honnête cœur fraternel en apprenant le retour de la pécheresse repentante.

Quatorze années s’étaient écoulées depuis que la jeune beauté, élevée à la ville, avait fui avec le plus indigne des hommes, le plus roué des coureurs d’aventures ; et les nouvelles de Susan, sur lesquelles on ne comptait plus, l’avaient saisie comme l’aurait fait un messager venu de la tombe.

Hélas ! pour le malheur de Susan, la faute de sa jeunesse l’avait à tout jamais mise dans une fausse voie sur le chemin de la vie.

Lorsqu’arriva la bonne Mme Halliday, la femme de Gustave n’était plus en état de recevoir ses secours. Une sorte de délire la tenait. Elle s’imaginait être encore fille ; elle croyait qu’elle venait d’abandonner sa paisible demeure ; elle se livrait absolument, follement, uniquement aux remords.

Le souvenir de ses sept années de mariage semblait s’être effacé de son esprit. Elle ne parlait dans sa fièvre que de l’infamie de Kingdon, de sa propre folie, de ses vains regrets, de son ardent désir d’obtenir son pardon ; mais de son mari qui se mourait dans une mansarde à Rouen, elle ne dit pas un mot.

Et ce fut ainsi, la tête appuyée pesamment sur le