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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Sheldon souhaita le bonjour à son frère et il allait partir quand George se plaça résolument devant la porte.

« Un instant, Philippe, dit-il avec une énergie qui ne lui était pas habituelle. J’ai quelques mots à vous dire et je les dirai. Il y a une circonstance… il y a dix ans de cela, où j’aurais dû parler et où je me suis tu. Je n’ai jamais cessé de me reprocher ma lâcheté. Oui, par Dieu ! je m’en suis toujours voulu d’avoir été si lâche. Il y a des moments où je sens que la part que j’ai eue dans cette affaire a été presque aussi coupable que la vôtre.

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire.

— Naturellement. C’est votre thème et vous vous y tenez. Mais vous savez fort bien ce que je veux dire. En tous cas, vous allez le savoir. Je parlerai clairement pour vous l’apprendre. Vous et moi nous avions un ami, Philippe. C’était un bon ami pour moi, et je l’aimais autant qu’un homme peut en aimer un autre ici-bas. Si j’avais été dans la gêne et si je lui avais demandé cent livres pour me remettre à flots, je suis sûr qu’il m’aurait dit : George, voilà ! C’est ainsi que je comprends l’amitié. Et pourtant j’étais près de cet homme à son lit de mort, je le voyais décliner, je savais la cause de son mal, et je n’ai pas étendu la main pour le sauver.

— Ayez la bonté de vous écarter de cette porte, dit Sheldon les lèvres pâles de fureur, mais portant hardiment la tête haute. Je ne suis pas venu ici pour entendre des rodomontades de ce genre ou pour me quereller avec vous. Ôtez-vous.

— Non, pas avant d’avoir dit ce que j’ai à dire. Il ne s’agit pas de rodomontades cette fois. J’étais là et… écoutez ceci… J’ai vu mon meilleur ami assassiné par