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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

intentions, papa, répondit Mlle Paget d’une voix basse et triste, et si mon mariage peut assurer votre bonheur ainsi que celui de M. Lenoble, je serai satisfaite. Je crains seulement d’accepter trop en donnant trop peu.

— Mon amour, il faut vraiment que vous soyez une descendante en ligne directe de Don Quichotte. Trop et trop peu ! En vérité !… Que Lenoble trouve donc ailleurs une femme plus belle, plus accomplie, une femme qu’un duc serait fier de prendre pour en faire une duchesse, par Jupiter ! ce n’est pas vous qui serez l’obligée, mon amour. Lenoble sera bien vite arrivé à comprendre qu’il a plus que la monnaie de sa pièce. Embrassez-moi, enfant, et dites-moi que vous me pardonnez d’avoir été un peu rude avec vous tout à l’heure.

— Vous pardonner ?… Oui, papa, vous êtes certainement plus sage que moi. Pourquoi refuserais-je M. Lenoble ?… Il est bon et généreux. Il nous assure une existence tranquille. Que puis-je demander de plus ? Ai-je besoin d’être comme Charlotte pour qui la vie semble ne devoir être que poésie et lumière ?

— Et qui va se compromettre en se jetant dans les bras d’un écrivain à tant la ligne, par Jupiter ! dit le capitaine en manière d’interjection.

— Puis-je espérer lui ressembler avec son heureuse ignorance de la vie, son amour, et sa confiance sans limites. Oh ! non, papa, ces choses-là ne sont pas faites pour moi. »

Elle se cacha la figure sur la poitrine de son père et se mit à pleurer comme un enfant : ce fut son adieu à celui qu’elle avait tant aimé, au souvenir de ses rêves passés.

Son père l’encouragea avec un paternel baiser, mais