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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

disent les annonces des journaux, sauriez-vous vous contenter du paisible coin de mon feu ? Pensez-vous que les clubs et le baccarat ne vous manqueraient pas et même les créanciers, les créanciers qui vous obligent à tant de frais de diplomatie.

— Non, ma chère, je me fais vieux, les clubs et les maisons de jeu ne font plus mon affaire. J’ai été voir, il y a quelques mois au Reform Club une personne à laquelle j’avais écrit pour une petite combinaison ; au fait… je puis être franc avec vous…, c’était pour lui emprunter une banknote de cinq livres… J’allais au Club chercher la réponse. J’ai aperçu une figure dans une glace pendant que j’attendais dans la salle où l’on reçoit les étrangers, et j’ai cru voir un fantôme. Il vient un temps, quand une longue vie agitée touche à sa fin, où un homme se considère comme un fantôme. Ses amis sont partis, son argent est parti, sa santé est partie aussi bien que sa bonne mine, et l’étonnant c’est que l’homme lui-même soit encore là. Cela me rappelle un mot de lord Chesterfîeld : « Lord*** et moi sommes morts depuis deux ans, mais nous ne le disons à personne, » dit-il ; et il y a bien peu de vieillards qui ne pourraient pas en dire autant ; mais je ne suis pas mal disposé aujourd’hui, ma chère. Non, l’habitude d’espérer ne m’a jamais complètement abandonné et c’est seulement de temps à autre que la vie m’apparaît en noir. Allons, mon amour, débarrassez-vous de votre chapeau. Dieu ! quelle belle robe de soie noire vous avez et comme elle vous va bien !

— C’est un cadeau de Charlotte, papa. Sa bourse est assez bien garnie, et elle est la générosité même. Je n’aime pas à recevoir autant d’elle, mais un refus ne fait que la blesser.