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AURORA FLOYD

des iniquités rapportées dans ce terrible journal, mais qui avait peur d’étendre son autorité jusqu’à en interdire la lecture.

Mme Powell contemplait avec une muette approbation la familiarité qui s’établissait et croissait de jour en jour entre Lucy et le Capitaine. Elle avait craint d’abord que Talbot ne fût un admirateur d’Aurora ; mais la conduite des deux jeunes gens eut bientôt dissipé ses alarmes. Rien de plus cordial que la manière dont Mlle Floyd traitait l’officier ; mais elle lui témoignait la même indifférence qu’elle manifestait pour tout, hors son chien et son père. Était-il possible que ce visage qui approchait de la perfection et cette gracieuse fierté n’eussent aucun charme pour la fille du banquier ? Était-il possible qu’elle passât des heures entières dans la société de l’homme le mieux fait et le plus aristocratique qu’elle eût jamais rencontré, et que son cœur fût encore aussi libre qu’au commencement de leurs relations ? Il y avait dans la petite société une personne qui se posait sans cesse cette question et qui n’était jamais capable d’y répondre à sa propre satisfaction ; cette personne, c’était Lucy. La pauvre Lucy, qui, nuit et jour, était occupée à jouer mentalement cet ancien jeu allemand que Faust et Marguerite jouèrent ensemble dans le jardin avec la rose épanouie : « Il m’aime… il ne m’aime pas ! »

Mme Powell, avec ses yeux bleus peu clairvoyants, pouvait voir dans Lucy l’attrait qui attirait Bulstrode à la falaise de l’Est ; mais Lucy elle-même en savait davantage : elle savait d’autres choses amères, cruelles.

— Les attentions du Capitaine Bulstrode pour Mlle Lucy ont été de la dernière évidence, dit Mme Powel un jour que le Capitaine s’en alla, après une longue matinée employée à faire de la musique, à chanter et à jouer aux échecs.

Comme Lucy détestait cette phrase précieuse ! Personne, aussi bien qu’elle, ne connaissait la valeur de ces attentions. Il y avait six semaines qu’elles étaient à Brighton, et depuis les dernières cinq semaines, le Capitaine avait passé avec elles presque toutes les matinées. Il avait couru à cheval avec elles sur les dunes, il était allé avec elles en voiture