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AURORA FLOYD

excès de découragement et ces mouvements de dégoût ? Peut-être, après tout, n’était-ce pas seulement une affectation d’originalité ?

Pendant qu’il se posait cette question, Aurora le regarda avec son plus brillant sourire.

— Viendrez-vous voir papa ? — dit-elle.

Bulstrode déclara qu’il ne désirait pas de plus grand bonheur que de présenter ses respects à M. Floyd, et, pour le prouver, il accompagna les jeunes filles dans la direction de la falaise de l’Est.

À partir de ce matin-là, l’officier devint un des habitués de la maison du banquier. Il jouait aux échecs avec Lucy, l’accompagnait sur le piano quand elle chantait, l’aidait de précieux conseils quand elle peignait à l’aquarelle, introduisait des jours dans certains endroits et des reflets de ciel en d’autres, fonçait les tons bruns de l’automne, donnait de la vigueur aux teintes empourprées de l’horizon, et se rendait tout à fait utile à la jeune fille qui, ainsi que nous le savons, était accomplie dans tous les arts qui sont les délassements d’une femme. Mme Powel, assise à une des fenêtres du salon, répandait la lueur bénigne de son visage fané et de ses yeux bleu pâle sur les deux jeunes gens, et représentait toutes les convenances dans sa personne. Aurora, quand le temps l’empêchait de monter à cheval, s’occupait, plus par turbulence que d’une façon profitable, à prendre des livres et à les feuilleter sans attention, à tirer les oreilles de Bow-wow, à regarder par les fenêtres, à mimer la caricature des gens qui se promenaient sur la falaise, et à tirer, pour voir l’heure, une petite montre merveilleuse, à laquelle était suspendu un tas de breloques en or de formes inexplicables.

Bulstrode, appuyé sur le piano ou sur le carton à dessin à la reine sur l’échiquier, avait amplement le loisir d’observer les mouvements de Mlle Floyd et d’être choqué, du désœuvrement dans lequel cette jeune fille passait les matinées pluvieuses. Quelquefois il la voyait lire le Bell’s Life, à la grande horreur de Powel, qui avait une idée vague