Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome I.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
57
AURORA FLOYD

rizon qui semble se borner à un demi-mille ou à peu près de la place de la Parade.

Avant d’emmener sa fille et sa cousine à Brighton, Floyd prit un arrangement qu’il considérait sans doute comme une très-grande preuve de sa sagesse ; il engagea une dame pour être à la fois la gouvernante, la compagne et le chaperon d’Aurora, qui, comme disait sa tante, avait grand besoin d’une personne accomplie et vigilante, qui aurait soin de diriger et d’émonder les branches exubérantes de cette plante pleine de sève qu’on avait laissée croître comme elle l’avait voulu depuis son enfance. Le bel arbrisseau ne devait pas traîner par terre ses tiges capricieuses ou s’élancer à son gré vers l’azur des cieux ; il fallait le tailler, l’émonder, l’attacher symétriquement aux murs de pierre de la société, avec des clous cruels et des bandes de drap enchaînantes. En d’autres termes, Floyd fit insérer dans le Times un avis demandant une dame de bonne naissance et ayant reçu une éducation distinguée pour être gouvernante et dame de compagnie dans la famille d’un gentleman, et disant qu’on ne regarderait pas au traitement, pourvu que la dame en question fût maîtresse accomplie dans tous les genres de talent connus sous la calotte des cieux, et fût en somme un de ces êtres exceptionnels et extraordinaires qui ne peuvent exister que dans les colonnes d’annonces d’un journal répandu.

Mais le monde eût-il été rempli d’êtres exceptionnels, Floyd n’aurait guère pu recevoir plus de réponses à son avis qu’il n’en plut dans le petit bureau de poste de Beckenham. Le malheureux directeur eut sérieusement l’idée de louer une charrette pour porter les lettres à Felden. Si le banquier eût fait publier un avis pour demander une femme à marier, en spécifiant le montant de ses revenus, il ne lui eût guère été possible de recevoir un plus grand nombre de réponses. On eût dit que la population féminine de Londres avait été, d’un commun accord, saisie du désir d’améliorer l’esprit et de former les manières de la fille du gentleman qui ne regardait pas aux émoluments. Des veuves d’officiers, des veuves de prêtres, des veuves d’avo-