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AURORA FLOYD

Il était curieux de savoir comment il se faisait qu’Aurora eût ces grands yeux noirs brillants, et une beauté d’un type si méridional.

— Non ; la femme de mon oncle appartenait à une famille du comté de Lancastre.

Une famille du comté de Lancastre ! Si Bulstrode eût pu savoir que le nom de cette famille était Prodder ; qu’un membre de cette altière maison avait employé sa jeunesse aux occupations agréables d’un mousse, faisant du café fort et grillant des harengs graisseux pour le repas matinal d’un capitaine hargneux, et recevant plus de corrections corporelles de la botte brutale de son maître que de monnaie de bon aloi ! S’il avait pu savoir que la grand’tante de cette créature dédaigneuse qui marchait devant lui dans toute la majesté de sa beauté, avait tenu autrefois, et autant que le banquier tout autre pouvait le savoir, tenait encore une boutique d’épicerie dans une rue obscure de Liverpool ! Mais c’étaient là des faits dont on avait empêché la connaissance de parvenir à Aurora elle-même, qui savait peu de choses, si ce n’est que, bien qu’elle fût née avec la cuillère d’argent allégorique dans la bouche, elle était plus pauvre que d’autres jeunes filles, puisqu’elle n’avait point de mère.

Mme Alexandre, Lucy et le Capitaine rejoignirent ceux qui marchaient devant eux sur un pont rustique, où Talbot s’arrêta pour se reposer. Aurora était appuyée sur la grossière balustrade en bois, regardant nonchalamment couler l’eau.

— Votre favori a-t-il gagné le prix de la course, mademoiselle Floyd ? — demanda-t-il en observant l’effet de son profil à la lumière du soleil.

Ce n’était pas certainement un très-bon profil, sans les longs cils noirs et le rayonnement qui les traversait et que leurs ombres les plus épaisses ne pouvaient jamais cacher.

— Quel favori ? — dit-elle.

— Le cheval dont vous m’avez parlé l’autre jour, — Thunderbolt ; a-t-il gagné ?

— Non.