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AURORA FLOYD

comme une impératrice orientale ; impératrice avec un nez de forme douteuse, il est vrai, mais impératrice régnant par le droit divin de ses yeux et de ses cheveux. Car ces yeux noirs prodigieux, que nous ne voyons peut-être briller qu’une fois dans toute la durée de notre existence, ne constituent-ils pas par eux-mêmes une royauté ?

Bulstrode se détourna de son idéal pour regarder cette déesse aux cheveux noirs, qui tenait un grossier chapeau de paille à la main et sur ses genoux la tête d’un gros chien. Il remarqua de nouveau dans ses manières cette distraction qui l’avait intrigué la nuit du bal. Elle écouta poliment ses visiteurs et leur répondit quand ils lui adressèrent la parole ; mais il sembla à Talbot qu’elle se contraignait et faisait un effort pour rester avec eux.

— Elle désire que je m’en aille, c’est chose certaine, — pensa-t-il, — et sans doute elle me considère comme une société ennuyeuse, parce que je ne lui parle ni de chevaux ni de chiens.

Le Capitaine reprit sa conversation avec Lucy. Il trouva qu’elle parlait exactement comme il avait entendu parler d’autres jeunes femmes, qu’elle savait tout ce qu’elles savaient, et qu’elle avait été dans les endroits où elles étaient allées. Le terrain qu’ils parcouraient était très-rebattu, il est vrai ; mais Lucy le traversa avec un charmant à-propos.

— C’est une bonne petite créature, — se dit Talbot à lui-même, — et elle ferait une femme admirable pour un gentilhomme campagnard. Je souhaiterais qu’elle tombât amoureuse de moi.

Lucy lui parla de la Suisse, où elle était allée, l’automne précédent, avec son père et sa mère.

— Et votre cousine, — demanda-t-il, — était-elle avec vous ?

— Non, Aurora était en pension à Paris, chez les demoiselles Lespard.

— Lespard… Lespard… répéta-t-il, une pension protestante dans le faubourg Saint-Germain. Mais une de mes cousines y est en ce moment, une demoiselle Trevyllian. Voilà trois à quatre ans qu’elle y est. Vous souvenez-