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AURORA FLOYD

ami hors du château du banquier encore illuminé. Durant toute cette longue course à travers la campagne, il parla d’Aurora. Il fut sans pitié pour ses folies ; il ridiculisa, censura, railla, et condamna ses goûts douteux. Il dit à Maldon de l’épouser à ses risques et périls, et lui souhaita toute espèce de bonheur avec une semblable épouse. Il déclara que, s’il avait une pareille sœur, il la tuerait d’un coup de fusil, à moins qu’elle ne se corrigeât et ne jetât au feu son carnet de paris. Il tomba dans un accès d’humeur sauvage à propos des défauts de la jeune fille, et parla d’elle comme si elle lui eût fait une offense impardonnable en ayant du goût pour le turf. Le pauvre et humble jeune cornette s’arma enfin de courage, et interrompit son supérieur pour lui dire qu’Aurora était une jeune fille très-gaie, très-bonne enfant, une femme parfaite, et que, si elle voulait savoir qui avait gagné le Saint-Léger, ce n’était pas l’affaire du Capitaine Bulstrode ; et que lui, Bulstrode, n’avait pas besoin de tant faire de morale à ce propos.

Pendant que nos deux officiers s’animent à son sujet, Aurora est assise dans son cabinet de toilette et écoute le babillage de Lucy Floyd.

— Il n’y a jamais eu une fête si charmante, — dit cette jeune fille ; — Aurora, avez-vous vu ceci et cela, puis cela encore ? Et surtout avez-vous observé le Capitaine Bulstrode qui a fait toute la campagne de Crimée, qui boite en marchant, et qui est le fils de sir John Walter Raleigh Bulstrode, de Bulstrode Castle, près de Camelford ?

Aurora secoua la tête avec un geste d’ennui.

— Non, je n’ai fait attention à aucune de ces personnes-là.

Le bavardage enfantin de la pauvre Lucy s’arrêta court.

— Vous êtes fatiguée, chère Aurora, — dit-elle ; — que je suis cruelle de vous tourmenter !

Aurora jeta ses bras au cou de sa cousine, et cacha son visage sur la blanche épaule de Lucy.

— Je suis fatiguée, — dit-elle, — très-fatiguée.

Son ton trahissait une lassitude si désespérée, que sa douce cousine en fut alarmée.