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AURORA FLOYD

ne manquait pas cependant d’être lui-même l’objet de l’attention de ceux qui l’entouraient, car il était précisément un de ces hommes qui ne peuvent se confondre dans la foule. Grand, la poitrine large, le visage pâle et sans favoris, le nez aquilin, les yeux gris clair et froids, la moustache épaisse, et les cheveux noirs coupés aussi ras que s’il fût sorti récemment de Coldbath Fields ou de la prison de Millbank, il formait un contraste frappant avec le jeune cornette aux favoris jaunes qui l’avait accompagné. Cette raideur de jambe, qui, chez d’autres, aurait pu paraître un défaut, ajoutait à la distinction de sa démarche, et, rapprochée des brillantes décorations qui ornaient le plastron de son uniforme, révélaient des actions d’éclat récemment accomplies. Il prenait fort peu de plaisir dans la joyeuse assemblée qui passait et repassait devant lui en suivant le mouvement d’une valse de Jullien. Il avait déjà entendu la même musique, exécutée par les mêmes musiciens ; les visages, bien qu’ils ne lui fussent pas familiers, n’étaient pas nouveaux pour lui : c’étaient des beautés au teint brun vêtues de rose, et des beautés blondes vêtues de bleu ; des beautés grandes et superbes, couvertes de soieries, de dentelles, de bijoux, d’atours étincelants, et des beautés moins altières et plus modestes, enveloppées de crêpe blanc et de boutons de rose. Tous ces filets de gaze et de tarlatane avaient été tendus pour lui, et il avait échappé à tous ; le nom de Bulstrode pouvait disparaître des annales de la noblesse du pays de Cornouailles pour ne plus laisser de trace que sur des pierres tumulaires ; mais il ne serait jamais terni par une indigne descendance, ni traîné dans la fange d’une cour de divorce par une femme coupable. Pendant qu’il demeurait nonchalamment adossé dans l’embrasure d’une porte, appuyé sur sa canne et reposant sa jambe malade, se demandant s’il y avait quelque chose sur terre qui récompensât l’homme de la peine de vivre, le cornette Maldon s’approcha de lui, ayant une main gantée légèrement posée sur son bras et une divinité marchant à ses côtés. Une divinité ! une femme d’une beauté impérieuse, en costume blanc et cerise, éblouissante à voir,