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AURORA FLOYD

devenir à la mode ; ce même ancêtre était propre parent d’un certain gentilhomme sans feu ni lieu, malheureux et persécuté, nommé Walter Raleigh, et qui n’avait pas été trop bien traité par ce même roi Jacques d’Écosse. Or, de tous les orgueils qui aient jamais gonflé poitrine humaine, l’orgueil des habitants du pays de Cornouailles est peut-être le plus fort ; et la famille de Bulstrode était une des plus fières. Talbot n’était pas un fils dégénéré de cette altière maison ; dès sa plus tendre enfance, il avait été le plus orgueilleux des hommes. Cette fierté avait été la faculté salutaire qui avait présidé à son heureuse carrière. D’autres hommes auraient pu descendre commodément ce sentier uni que la richesse et la grandeur rendaient si agréable ; mais ce n’est pas ce que fit Bulstrode. Les vices et les folies du reste de l’humanité peuvent être réparables ; mais le vice ou la folie chez un Bulstrode auraient laissé sur un écusson, que rien n’avait encore terni, une tache que ni le temps ni les larmes n’auraient jamais lavée. Cet orgueil de naissance, auquel ne se mêlait absolument aucun orgueil de richesse et de position, avait un certain côté noble et chevaleresque, et Talbot était aimé de plus d’un parvenu que des hommes de plus basse extraction aurait méprisé. Dans les affaires ordinaires de la vie, il était aussi humble qu’une femme ou un enfant ; ce n’était que quand l’honneur était en jeu que le dragon endormi de l’orgueil qui avait gardé les pommes d’or de sa jeunesse, de sa pureté, de sa probité et de sa loyauté, s’éveillait et défiait l’ennemi. À trente-deux ans, il était encore célibataire, non pas qu’il n’eût jamais aimé, mais parce qu’il n’avait jamais rencontré une femme que la pureté de son âme rendît digne à ses yeux de devenir la mère d’une noble race et d’élever des fils appelés à faire honneur au nom de Bulstrode. Dans une femme de son choix, il cherchait plus que la vertu ordinaire qu’on rencontre tous les jours ; il demandait ces grandes et royales qualités qui sont très-rares chez nos sœurs. Une intégrité sans peur, un sentiment de l’honneur aussi vif que celui qui l’animait, des intentions loyales, du désintéressement, une âme au-dessus des mes-