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AURORA FLOYD

loisirs ; car, le regardant avec ses yeux étincelants, elle lui lança un éclair de fureur toute féminine, et, le visage pourpre d’indignation, elle lui demanda d’un ton sévère s’il avait quelque chose à lui dire.

Il avait beaucoup de choses à lui dire ; mais, comme il avança la tête à la portière et parla à voix basse, en lançant des bouffées d’odeur de rhum, ce qu’il dit, de quelque nature que ce fût, ne parvint qu’aux oreilles d’Aurora seule. Quand il eut fini son chuchotement, il tira de la poche de son gilet un portefeuille de cuir tout graisseux et un petit bout de crayon de mine de plomb ; puis il écrivit deux ou trois lignes sur une feuille de papier qu’il détacha et remit à Aurora.

— Voici l’adresse, — dit-il, — vous n’oublierez pas d’envoyer ?

Elle secoua là tête et se détourna de lui avec un geste de dégoût et de répugnance qu’elle ne put contenir.

— Vous ne voudriez pas acheter un épagneul, — dit l’homme, tenant à la hauteur de la portière l’animal au poil noir et brun, luisant et frisé, — ou un caniche français, qui sait tenir un morceau de pain en équilibre sur le bout du nez pendant que l’on compte jusqu’à dix ? Voulez-vous ?… Je vous les donnerais à bon marché… quinze livres les deux.

— Non.

À ce moment, Mme Alexandre sortit de chez l’horloger, tout juste à temps pour apercevoir les larges épaules de l’individu qui se retirait d’un air maussade de la voiture.

— Cet individu vous a-t-il demandé l’aumône, Aurora ? — lui dit-elle lorsqu’elles quittèrent la place.

— Non. Je lui ai acheté une fois un chien, et il m’a reconnue.

— Et il voulait que vous lui en achetassiez un aujourd’hui ?

— Oui…

Mlle Floyd garda le silence et eut un air sombre pendant tout le temps du retour au château, regardant par la portière de la voiture, et ne daignant faire aucune attention ni à sa tante ni à sa cousine.