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AURORA FLOYD

cheveux noir de corbeau, Mlle Floyd savait couper court à un entretien ; aussi Lucy renonça-t-elle à lui demander de plus amples renseignements sur un sujet qui paraissait si évidemment déplaire à sa cousine. La pauvre Lucy avait été bien élevée, sans pitié ni merci ; elle parlait une demi-douzaine de langues, connaissait tout ce qui concerne les sciences naturelles, avait lu Gibbon, Niebuhr et Arnold, depuis la première jusqu’à la dernière page, et regardait l’héritière comme une grossière ignorante n’ayant que de l’éclat ; c’est pourquoi elle attribua tout tranquillement l’aversion d’Aurora pour Paris au peu de goût que la jeune fille avait pour l’instruction, et ne s’en inquiéta guère davantage. Toute autre raison qu’eût pu avoir Mlle Floyd pour frémir presque d’horreur lorsqu’on lui parlait de Paris dépassait la pénétration bornée de Lucy.

Le 15 septembre était le jour de naissance d’Aurora, et Archibald résolut, pour célébrer ce dix-neuvième anniversaire de la première apparition de sa fille sur la scène du monde, de donner une fête, où ses voisins de campagne et ses connaissances de la ville auraient également l’occasion de voir et d’admirer sa charmante héritière.

Mme Alexandre vint à Felden pour surveiller les préparatifs du bal. Elle emmena Aurora et Lucy pour commander le souper et la musique, et pour choisir des robes et des parures de fleurs. L’héritière du banquier était très-déplacée dans une boutique de modiste ; mais elle savait apprécier et choisir les couleurs et les formes avec cette rapidité de jugement et cette délicatesse de goût qui indiquent l’âme d’un artiste ; et tandis que la pauvre et débonnaire Lucy occasionnait un tracas infini et bouleversait une quantité innombrable de boîtes de fleurs, avant de pouvoir trouver une coiffure en harmonie avec ses joues vermeilles et ses cheveux blonds, Aurora, après avoir jeté un seul coup d’œil sur les brillants parterres de gaze peinte, se décida sans plus tarder pour une guirlande en forme de couronne, composée de graines écarlates et de feuilles emmêlées et retombantes d’un vert foncé et luisant, qu’on eût dites fraîchement cueillies sur le bord d’une eau courante.