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AURORA FLOYD

— Certainement, ma chère enfant, certainement, — répondit-il avec une légère hésitation. Tu peux dépenser tout ce qu’il te plaira. Je suis assez riche pour te passer tous tes caprices, même les plus extravagants, les plus insensés. Mais les arrangements pris pour ton mariage étaient en vue de tes enfants, plutôt que… que… pour de semblables choses, et je ne suis pas certain qu’en touchant à cet argent sans la permission de ton mari, tu ne sois point en faute ; d’autant plus que ton argent de poche suffit pour te permettre de satisfaire à tous tes caprices.

Le vieillard releva d’une main tremblante, ses cheveux gris de dessus son front.

Le ciel sait seul si même, en ce moment, Aurora fit attention à cette main débile et à ces cheveux blancs.

— Donne-moi cet argent, alors, père, — dit-elle ; — donne-le-moi de ta propre bourse ; tu es assez riche pour pouvoir le faire.

— Assez riche, oui, quand même la somme serait vingt fois plus forte, — répondit le banquier avec douceur ; mais aussitôt, avec un soudain accès d’impatience, il reprit : — Oh ! Aurora… Aurora… pourquoi me tourmenter ainsi ? Ai-je été un père tellement cruel que tu ne puisses avoir confiance en moi ? Aurora, pourquoi as-tu besoin de cet argent ?

Elle joignit ensemble ses deux mains avec force, et le regarda quelques instants.

— Je ne puis te le dire, reprit-elle enfin avec énergie. Si je te disais ce que je pense faire, tu pourrais contrarier mes projets. Mon père !… mon père !… s’écria-t-elle avec un changement soudain dans la voix ainsi que dans toutes ses manières, je suis environnée de toutes parts de dangers et de difficultés, et je n’ai qu’un moyen d’échapper… sinon la mort. Si je ne prends ce parti, il faut que je meure. Je suis bien jeune… trop jeune et trop heureuse pour mourir volontairement. Donne-moi les moyens de me sauver.

— Tu veux dire cette somme d’argent ?

— Oui.