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AURORA FLOYD

Le lendemain matin de bonne heure la gouvernante de Mlle Floyd quitta Felden, et entre le déjeuner et le luncheon le banquier alla visiter les écuries et examiner la jument favorite de sa fille, belle pouliche alezane, qui était tout muscles et tout os, et qui avait été élevée pour faire un cheval de course. L’animal s’était foulé un nerf et boitait en marchant. Floyd envoya chercher le groom de sa fille, lui paya ses gages, et le congédia sur-le-champ. Ce jeune homme ne fit aucune observation, mais il alla tranquillement à sa chambre, quitta sa livrée, fit son paquet dans un sac de nuit, et sortit de la maison sans dire adieu aux autres domestiques, qui se vengèrent de cet affront en déclarant que c’était une brute hargneuse dont l’absence n’était pas une perte pour le château.

Trois jours après celui-là, le 14 juin 1856, Floyd et sa fille partirent de Felden pour Paris, ou Aurora fut placée, pour y achever son éducation, qui était fort imparfaite, dans une pension très-dispendieuse et exclusivement protestante, tenue par les demoiselles Lespard, et dans un superbe hôtel, entre cour et jardins, situé rue Saint-Dominique-Saint-Germain.

Il y a un an et deux mois que Mlle Floyd est partie pour aller s’installer dans cette pension parisienne ; nous sommes dans les derniers jours du mois d’août 1857, et le banquier se promène de nouveau de long en large sur la terrasse en pierre, en face des fenêtres étroites de son château ; il attend l’arrivée d’Aurora qui revient de Paris. Les domestiques n’ont pas manqué d’exprimer leur étonnement de ce qu’il n’avait pas traversé la Manche pour aller chercher sa fille, et, à leurs yeux, c’est une atteinte à la dignité de la maison que Mlle Floyd voyage ainsi sans être accompagnée.

— Une pauvre jeune créature, qui, pas plus qu’un enfant au berceau, ne connaît rien de notre monde pervers, — dit la femme de charge, — toute seule au milieu d’un tas de Français à moustaches !…