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AURORA FLOYD

prendre à ce malheureux qu’il n’y avait pas encore douze heures qu’il courait sur la route d’Epsom, confiant dans sa chance, et calculant de quelle façon il emploierait l’argent de son gain. Talbot était silencieux, et pensait à l’influence que cette famille de Felden avait eue sur sa destinée. Sa petite Lucy s’aperçut de cette tristesse et de cette préoccupation d’esprit, et, s’approchant doucement de son mari, elle passa son bras sous le sien. Elle avait le droit d’agir ainsi. Oui, elle pouvait glisser sa charmante petite main blanche sur la manche de son habit, et même le regarder presque bravement en face.

— Vous souvient-il de votre première visite à Felden, et de la halte que nous fîmes sur ce même pont sur lequel nous sommes maintenant ? — demanda-t-elle ; car elle aussi avait songé à l’époque déjà si éloignée de cette magnifique journée de septembre 1857. — Vous en souvient-il, mon cher Talbot ?

Elle l’avait entraîné loin du banquier et de ses enfants pour lui poser cette importante question.

— Oui, parfaitement, mon enfant adorée. Aussi bien, je me souviens de votre charmant visage quand vous étiez assise au piano, et que les rayons du soleil se jouaient dans votre chevelure.

— Vous vous rappelez cela !… vous vous souvenez de moi ? — s’écria Lucy avec impétuosité.

— Parfaitement, en vérité !

— Je croyais cependant… c’est-à-dire je sais… que vous étiez amoureux d’Aurora, dans ce temps-là.

— Je ne crois pas.

— Vous ne faites que le croire ?

— Comment puis-je dire ? — répondit Talbot. — J’avoue franchement que mon premier souvenir attaché à cet endroit est celui d’une magnifique créature aux yeux noirs, avec des fleurs rouges dans les cheveux ; et il me serait aussi difficile de séparer son image de Felden, qu’il me serait possible de déraciner avec ma main droite les arbres séculaires qui donnent leur nom à cette propriété. Mais si vous gardez de cette ombre effacée du passé un souvenir